Les paysages au festival de géographie de Saint-Dié-des-Vosges


Saint-Dié 2012 inauguration du festival

Alors que les Vosges étaient sous la chape de plomb d’une dépression pluvieuse décrite dans Libé par Martine Tabeaud de Paris-I à partir d’un… tableau de John Constable (voir notre post d’hier), l’humeur était à la joie sous les parapluies et dans les salles bondées. Le paysage, thème choisi cette année, qui valut à Laurent Carroué de se plaindre devant les festivaliers de ce côté convenu et plan-plan de la géographie alors que nous sommes en période de crise, n’avait pas manifestement asséché les esprits des géographes. A quoi Jean-Robert Pitte, président de l’association pour le développement du festival a répondu que le paysage est « une entrée séduisante pour la géographie » et qu’il fallait plutôt regretter qu’ils ne soient pas enseignés en tant que tels dans les écoles et les lycées.

Le paysage, plus du rêve que de la politique ?

Sur vingt-quatre sites, les « figueurs » ainsi qu’on appelle ici ceux qui déambulent pour écouter des conférences-débats-, déguster des gourmandises dans l’allée du goût, fouiller dans les stands des salons du livre et de la géomatique, refaire le monde aux cafés-géo, les amateurs du FIG (festival international de géographie de Saint-Dié-de Vosges) prenaient d’assaut les places assises du magnifique espace Sadoul, tendu de rouge et noir, pour écouter Mireille Delmas-Marty (Collège de France), la présidente. Cette année, cette juriste qui a enseigné le droit pendant trente ans, s’est efforcée de relire des « classiques » sur le climat, « constatant que le réchauffement climatique avait renversé toutes leurs théories. Il aurait fallu que je réécrive Pascal et Montesquieu, c’était un pari risqué… » a-t-elle conclu en faisant allusion aux thèses déterministes qui prévalaient à l’époque moderne. En se lançant sur l’aventure de la carte juridique du monde (transterritorialité, multiterritorialité), elle est tombée dans « la tragédie des 3C : complexe, cohérent, complet ». Finalement, elle s’est transportée du droit au paysage en s’interrogeant sur la triple influence de l’économie, de la culture et de la nature sur les pratiques juridiques pour arriver à la modification des relations entre le droit, l’espace et le temps.

De manière plus familière et plus politique, Christian Pierret a parlé d’aménagement des paysages : « conserver ce qu’il y a de mieux dans le territoire vosgien » en utilisant ces affreux sigles qui polluent la langue bureaucratique (SCOT, PLU, PADD). Jean-Robert Pitte soutient que les élus peuvent « transposer leurs projets et leurs rêves. Un simple jardin est un espace de liberté, de valeur ». Et il ajoute : « S’ils sont totalement transformés par l’homme, les paysages sont donnés et matériels, en même temps que rêvés ». C’est pourquoi la pluie, n’en déplaise aux vieux déterministes qui sévissent encore en géographie physique, n’avait aucune incidence sur le bonheur d’être à Saint-Dié dans les pas du Gymnase Vosgien de 1507 qui baptisa le territoire américain.

Pincée de géopolitique

Passé ce rassemblement fondateur de la session 2012, il est impossible de rendre compte des centaines d’intervention en tous genres dans une « capitale mondiale de la géographie » qui retrouvait des couleurs avec un soleil froid (il a gelé au fond des vallées cette nuit de week end) et mélancolique d’automne. Pour faire écho à nos collègues historiens qui lisent cette chronique, on évoquera le passage de Jean-Pierre Rioux au lycée Jules-Ferry (terminale littéraire) où il a rappelé que l’enfant du pays (Jules Ferry est né à Saint-Dié) a « donné la définition la plus complète de ce qu’était l’ambition coloniale de la France ». Ainsi, « Jules » (comme on dit au lycée ici) avait une vision économique de l’exportation de la révolution industrielle, mais aussi politique dans la mesure où l’on pensait déjà à l’époque, bien avant 1948, que les droits de l’homme étaient universels. Au moment où le président Hollande prononce son discours à Dakar cinq ans après son prédécesseur, Rioux rappelle que l’auteur d’un mot qui « nous semble abominable aujourd’hui : les races supérieures ont un droit sur les races inférieures » doit être compris dans une époque qui était toute entière tournée vers une conquête dont nous n’avons pas fini de travailler le sens.

Arnaud Detot, professeur amiénois au salon de la géomatique

Les ateliers TICE sont très prisés des professeurs ici présents. Arnaud Detot a fait travailler des élèves-enseignants sur un espace géographique turc. Ils sont parvenus avec une photo à réaliser un croquis informatique qui a été retouché par un logiciel d’images. Ces pratiques bien connues au Café pédagogique poussent à un autre rythme d’enseignement, à d’autres savoirs qui dessinent, espérons-le, l’école de demain. Daniel Joly (CNRS Besançon) a montré comment il « théorisait » le paysage, donnant une idée des métiers qu’on peut se faire présenter par dizaines au salon.

Attenant au salon de la géomatique, la production de posters sur le thème du paysage était centrée souvent sur des questions d’aménagement des espaces « désappropriés » de Lorraine, des tourbières (Lyon), des portes de villes, du désert, des mines. Les étudiants turcs ont présenté les effets des barrages sur les espaces et une analyse étonnante de la position « interstitielle » de la Turquie dans les représentations mentales du monde où elle est toujours « à la charnière de »…

Les paysages et le vent

Si on voulait rester dans les plis du festival « paysager », il fallait être poussé à l’IUT avec Michel Deshaies (université de Lorraine) pour savoir comment penser la « nuisance » des éoliennes dans les paysages des parcs naturels. On découvrait quels sont les facteurs d’opposition publique, les contradictions sur leurs implantations dans les parcs naturels : « Les parcs se sont préoccupés de l’implantation de l’éolien en proposant des schémas de développement éolien (SDE) en sachant que la référence, c’est bien sûr le paysage. Même si les responsables du parc sont favorables au développement des énergies renouvelables, ils ont obtenu que les éoliennes soient en périphérie ». Michel Deshaies a comparé ensuite la politique française avec celle de l’Allemagne et de l’Espagne. Un débat passionnant encourageant à lire les livres du géographe lorrain.

Le soir, peu avant minuit au Broadway peu avant que la salle ne se transforme en piste de danse, Pascal Marty (La Rochelle) et Lionel Laslaz (Chambéry) remettaient sur le tapis le sujet de la protection et de la conservation des espaces dans le monde. On ne racontera pas ici le débat car Lionel Laslaz vient de publier avec quatre collègues un superbe Atlas mondial des espaces protégées : trois ans de travail remarquable pour cette équipe très inspirée.

La Turquie, toujours ses frontières

Est-elle l’obsession des Européens ? La Turquie « moderne » née en 1920 et 1923 des traités de Sèvres et de Lausanne, fascine et inquiète. Grande puissance politique régionale, elle assume d’autant sa position qu’elle a « failli disparaître en tant qu’Etat » précise S. de Tapia. Repliée sur elle-même jusqu’en 1980 (mais elle envoie des émigrés en Europe occidentale depuis quarante ans), la Turquie devient membre d’organisations internationales influentes comme l’Otan, l’Ocde, l’Osce et le G20 où elle tient la quinzième place et sollicite une place en Europe depuis 1963.  Avec un certain aplomb, elle affirme n’avoir « aucun problème avec les voisins ». Son décollage économique contraste avec le délabrement des voisins musulmans en proie aux guerres : ressources énergétiques considérables avec les barrages sur l’Euphrate, industrialisation à marche forcée dans tous les secteurs, réseau autoroutier très dense… La Turquie s’invite au festival avec une importante population locale, une solide délégation d’universitaires, des écrivains comme Nedim Gürsel, auteur de trente ouvrages qui présentait L’Ange rouge, un nouveau roman inspiré de la vie du poète communiste Nâzim Hikmet, qui a passé vingt ans de sa vie en prison. Il signe aussi Les filles d’Allah, livre jugé blasphématoire et dont il attend une décision de justice.

Il fallait bien se rasséréner dans les bars de Saint-Dié en constatant qu’en Turquie l’alcool n’est pas absent. La bière (coupée à l’eau), le vin, la vodka sont des copies de l’étranger, contrairement au raki qui est un produit national. Les amateurs de saveur anisée doivent associer le raki et l’eau dans des verres différents, le mélange se faisant en bouche… Le tout est accompagné d’un plat de poisson. Le raki est disponible dans des mini-boutiques avec les cigarettes, le chewing gum et les gâteaux sucrés, tout ce qu’il faut pour une soirée réussie. La pression sur l’alcool vient du parti islamique au pouvoir qui souhaite « islamiser » plus le mode de vie.

On ne sentait pas cette pression-là au pied des Vosges, en goûtant la Turquie qui devient peu à peu familière à l’Europe par sa diaspora.

La clôture

Jean-Robert Pitte s’est satisfait que la Turquie ait apprécié ce festival et que les géographes présents puissent mieux connaître ce qui se fait ici pour accueillir un prochain congrès de l’Union géographique internationale en 2020 à Istanbul. Il provoque gentiment l’assemblée en rappelant que pour lui « la géographie est une arme de destruction massive contre l’ignorance de l’autre ». Il souligne une géographie ludique et sérieuse qui offre ici 15 à 20 manifestations en même temps dans la ville pendant deux jours et demi/

Régine Deforges, le grand Témoin du festival, aime à rappeler que la géographie, pour elle, c’est le voyage, le paysage. « On n’est pas le même au Groenland et en Argentine ». Elle apprécie dans une digression avoir compris la géographie des loups du Poitou (qu’elle connaît bien) et ceux des Vosges…

Christian Pierret rend un hommage à la jeunesse, aux enseignants, aux universitaires qui « donnent une étincelle d’universalité que tous les hommes ont en commun » comme l’a rappelé l’ambassadeur de Turquie. Il aime à dire que c’est la population de Saint-Dié qui accueille les festivaliers.

Enfin, il annonce que le FIG 2013 groupe le thème et le pays invité  : La Chine, une puissance mondiale.
Il remercie Louis Marrou qui quitte la direction scientifique après trois années de bons et loyaux services et qui est remplacé par Philippe Pelletier (univ. de Lyon) qui travaillera aux côtés de Bertrand Lemartinel.

D’autres infos sur :

http://www.fig.saint-die-des-vosges.fr/

G. F.

 

 

 


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