L’islam au Louvre: l’art contre la culture?


Si la première impression doit être la bonne, alors tout est gagné : on entre dans le nouveau département des arts de l’Islam comme si l’on entrait sous la tente. Le voile doré en résille métallique, imaginé par Mario Bellini et Rudy Ricciotti donne en effet l’impression de se gonfler sous un vent lointain ; le regard est happé vers le haut jusqu’à ce que l’on découvre, ou redécouvre, la fabuleuse collection d’objets dans sa nouvelle présentation.

De grandes cartes évolutives montrent, étape par étape, l’émergence, la structuration et l’évolution du monde musulman, en recourant à des sortes d’éclairages transparents, qui luisent plus qu’ils ne brillent, pour représenter les différents ensembles politiques. On peut donc, régulièrement, regarder quelles sont les limites politiques d’un empire sans cesse morcelé et recomposé.

Enfin l’on aperçoit les vitrines, les mosaïques, les sculptures, les vêtements. Le département se déploie sur deux niveaux, et le tout représente une très grande surface d’exposition (2800m²). Il fallait au moins cela, compte tenu de la richesse et de l’abondance des collections du Louvre. Comme le font remarquer les auteurs de ce redéploiement, on a bien pris soin de marquer la différence entre l’Islam comme culture et l’islam comme religion. Mais c’est déjà là un point d’achoppement car, en rabattant le religieux dans le culturel, on fait simplement perdre de vue la racine et l’origine du sens donné à l’ensemble d’une production culturelle donnée, surtout dans le cas de l’islam, qui se présente comme un mouvement religieux holiste, c’est à dire capable d’embrasser l’ensemble des activités humaines, matérielles ou non. Mais comme nous marchons sur des œufs à propos de l’islam et des religions en général, et pour ne froisser personne, aucune allusion intempestive à l’islam religieux ne viendra troubler la pure contemplation esthétique des collections.

Seulement voilà : comme dans le cas du musée du quai Branly, les notices qui accompagnent les objets ne nous renseignent en rien sur leur usage, leur fonction, voire (soyons fous!) leur signification. On s’en tient aux froides et strictes informations chères aux historiens de l’art, c’est à dire les matériaux, les dimensions, une datation, un style, et éventuellement, une région de provenance. Parfois, on se risque à évoquer des influences stylistiques, ou même des ateliers de fabrication, surtout pour les poteries bien sûr, mais après, et bien après on ne veut pas prendre de risque, donc on s’en tiendra là. Il y a bien quelques écrans interactifs, mais on n’y trouve pas grand chose de différent.

Cela veut au moins dire que si vous vouliez comprendre la culture, ou plutôt les cultures de l’Islam (gardons donc la majuscule), vous repartirez bredouille. Mais allons, l’Art ne s’embarrasse pas de considérations aussi triviales que l’usage d’un vase ou d’un vêtement. Dernier point, plus gênant pour un musée comme le Louvre, censé être à la pointe de la muséographie : l’aspect monotone, voire lugubre, de l’étage inférieur de l’exposition. Les vitrines sont disposées en lignes parallèles, et si la splendeur des objets n’était là, on risquerait de retrouver ce petit air de classement à l’ancienne, façon 19e siècle.

Mais finalement, la beauté des objets exposés l’emporte, et de loin, sur toutes ces considérations. Certes, la plupart d’entre eux restent muets, faute d’explications suffisantes et pertinentes, mais en même temps ils expriment tout de même une forme de société à la fois très diverse et profondément unitaire dans ses principes. On trouve nombre d’objets « parlants », dans le sens où ils sont dotés d’inscriptions en lettres arabes souvent exécutées avec une extrême finesse. Elles rappellent d’ailleurs, par contraste, le grossier contre-sens commis par l’Occident vis à vis d’eux : prendre des symboles pour de simples « ornements » cela reviendrait à croire que la Bible n’est qu’une chronique fantaisiste et bizarrement écrite.

En effet, parler d’ornement ou de décor pour les arts traditionnels, c’est se méprendre sur les principes et les finalités de ces arts. On sait déjà à quel point ce vocable d’art prête à confusion et réduit la profondeur de signification d’un objet ou d’une architecture. Or, une fois de plus, dans le cas des arts de l’islam, on reste déçu par la pauvreté de l’analyse scientifique, souvent très en deçà de ce que l’objet exprime, et totalement dénué d’une quelconque mise en contexte. Le décor d’une jarre ou les motifs d’un tapis n’ont rien de fortuit, et il faudrait relire des auteurs comme Titus Burckhardt ou Ananda Koomaraswami pour se faire une idée un peu plus nette de tout cela.

Dans ce cas, et au vu du contexte actuel, on peut légitimement se demander ce qu’un tel département des « arts de l’Islam » peut apporter en fait de compréhension interculturelle : au-delà de la plus pure contemplation de l’amateur d’art, s’opère sous nos yeux le dévoilement de toute une culture en ses différentes composantes. Mais quant à pénétrer la réalité de ces cultures et leur sens, ami lecteur, détourne tes pas…


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