Improbables territoires du terrorisme


Deux « attentats » se sont carambolés ces derniers jours: l’assassinat d’un soldat britannique en Grande Bretagne, en plein jour, et les commandos-suicide contre une base militaire et des installations d’Aréva au Niger. Le lien immédiatement fait par la presse et les officiels a été celui du « terrorisme ». Mot commode… Vichy l’utilisait aussi pour les attaques de la résistance.

Le mot est en train de s’user à grande vitesse car on l’applique à des contextes et des situations extrêmement différents. Mais une chose est sûre: dans un cas comme dans l’autre, il ne s’agit pas de terrorisme, au sens où on pourrait l’entendre habituellement: une attaque indistincte perpétrée contre des civils, dans le but de faire pression sur un tiers. Le soldat massacré a été pris pour cible par deux énergumènes prétendus islamistes. Le « terrorisme islamique », a cet avantage  qu’il fonctionne comme une franchise gratuite: on peut agir « au nom de » sans autre lien que la lecture de sites web consacrés à la lutte armée et quelques lectures.

Toute une phraséologie du « combat » qui se trouve diluée et diffusée via le réseau; l’affaire Merah en France fait étrangement écho à cet assassinat. Quant aux attaques suicides au Niger, elles révèlent un pan peu glorieux de la Françafrique: les « intérêts vitaux » de la France font le lit des populations locales, qui peuvent avoir bien des raisons d’en vouloir aux entreprises françaises présentes sur place: l’exploitation d’uranium n’est pas exactement une activité non-polluante, et tout comme pour le pétrole, elle aiguise tellement les convoitises que les locaux sont souvent relégués au rôle de spectateurs passifs. Certes, il y a les sacro-saints emplois. Mais cela ne suffit pas.

Sans justifier ni excuser ces violences, faut-il dès lors s’en étonner? La plupart des attaquants sont des bi-nationaux, des personnes coincées entre deux mondes et qui nourrissent une haine farouche pour la culture du « colon » qui fait aussi partie d’eux-même…

Ce paradoxe, que l’on retrouve aussi chez les kamikazes des Twin Towers, Henry de Monfreid l’avait parfaitement compris dès la période coloniale: dans son ouvrage Vers les Terres hostiles d’Éthiopie, il montrait très clairement le cheminement psychologique qui conduisait les colonisés éduqués à l’européenne à haïr la puissance coloniale qui les aliénait vis-à-vis d’eux-mêmes et des autres. Double enfermement qui conduit à une forme de désespoir et de perte de repères fatale, surtout si celle-ci aboutit à des formes de violences extrêmes.

Or nous en sommes là, et nous sommes loin d’avoir fini de payer la note de la domination européenne. Peut être même n’en sommes-nous qu’au début, car si la domination politique n’est plus aussi visible, la domination culturelle et économique est encore plus écrasante. Ce déséquilibre, allié au racisme, théorisé entre autres par le Français Arthur de Gobineau à la fin du XIXe siècle, crée un mélange détonnant et extrêmement dangereux. L’intériorisation du mépris de soi initialement imposé de l’extérieur, les frustrations innombrables des populations restées pauvres, voire paupérisées dans un monde où le luxe le plus insolent apparaît sur tous les écrans de télévision comme un modèle à suivre: il n’en faut pas plus pour nourrir des haines féroces qui peuvent se manifester de multiples manières, et de façon ubiquitaire.

Une carte extraite du site Adorngeo (http://adorngeo.wikispaces.com) sur les « attaques terroristes » dans le monde.

En ce cas, nul endroit n’est sûr. Et les États-Unis, parangon de la « culture » occidentale, créent sans cesse leur ennemi, par leur fonctionnement même. C’est pour cette raison que les foyers de violences sont à la fois partout et nulle part, et en perpétuelle renaissance. Il ne peut y avoir de répit, sauf à vouloir réconcilier l’humanité avec elle-même. Vaste tâche…


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