Le Nôtre, un art si français de la nature


André si joliment appelé « Le Nôtre ». Son nom était fait pour faire rayonner la culture française. Enfin, celle de Louis XIV. Versailles, Chantilly, Vaux-le Vicomte, Fontainebleau, Le Louvre même avec les Tuileries dont Le Nôtre était si fier qu’il les recommande au duc de Portland, William Bentinck lui demandant des conseils pour visiter la France. Une géographie qui l’a conduit au paysage.

Shinjuku Goyen, construit pour Meiji à Tokyo, entre 1901 et 1906

On ne connaît pas de jardinier « anglais » mais le Nôtre est le père des jardins « à la française ».  Et pas seulement dans les châteaux, mais dans le moindre des potagers où l’alignement, les bordures persistantes sont pour Alain Baraton, le jardinier en chef de Versailles, le signe d’une « francité » fécondée par Le Nôtre. Dans ce chapitre du rayonnement, on ira chercher jusqu’en Asie des jardins « à la française » : le Japon en compte une vingtaine qui ont été dessinés depuis 1901, la Chine davantage, comme celui de la copie du Château Lafitte de la banlieue de Pékin prolongé… par une colonnade du Bernin, le tout promu par un hôtelier, Zhang Yuchen, qui offre 80 chambres.

Alain Baraton est dur avec Le Nôtre. Il lui reproche de n’avoir eu aucun élève, de n’avoir pas publié, d’avoir détesté les architectes et, péché suprême en France, d’avoir été vénal. Comme les trois Pieds-Nickelés Bettencourt- Arnault-Pinault. Orsenna l’encense : il fut « un génie contrarié par la nature. » Qui sait transformer un marais puant en Grand canal  ? Ouvrir les Tuileries qui étaient un vrai fouillis pour les transformer en Champs-Elysées ? Faire dialoguer l’eau et le ciel à Chantilly ?

Pour Orsenna, l’art des jardins est lié à l’art de la guerre. Les lignes de Le Nôtre sont proches de celles de Vauban. Le Nôtre n’est pas intéressé par la botanique mais par la géométrie qu’il utilise dans les forêts percées de clairières ouvrant sur des étoiles. Orsenna insiste sur le fait que le XVIIe siècle est une époque à feu et à sang et que Versailles, dessiné par le pouvoir, contient, dans sa cosmogonie et son langage, les contrariétés de l’époque. La permanence du jardin de Le Nôtre qui a survécu à la Révolution est encore mieux exprimée par Napoléon qui voulait, selon A. Baraton, remplacer les statues par le plan des villes conquises.

Dans son très bel article du Figaro (12 mars 2013), Ariane Bavelier demande à Orsenna et Baraton : « Louis XIV a écrit son Art de visiter les jardins de Versailles, quel est le vôtre ? Orsenna : J’essaie comme en amour de varier les points de vue pour avoir des suprises. Je commence par les côtés du corps. Un jour, je passe par l’arboretum, un autre par la pièce d’eau des Suisses avec cet immense et fabuleux escalier où l’oeil indique aux jambes qu’elles pourront se reposer. Baraton, quant à lui répond : Quelle approche chaotique ! Pour moi, le plus beau point de vue, c’est depuis l’étoile royale. On y découvre le jardin dans son ensemble avec le mouvement vallonné du terrain et on profite du château sans souffrir des visiteurs. On est dans une partie un peu sauvage d’où se dégage un espace de liberté. Si on regarde le jardin depuis le château, on le contemple depuis l’étoile royale ! »

Voici comment la France se reconnaît en Versailles qui fut sa capitale politique quelques décennies et reste sa capitale culturelle monarchique.

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Source : Le Figaro, 12 mars 2013

 

 


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