Sale temps pour les nomades


Les quelques nostalgiques des envolées xénophobes de Jean-Marie Le Pen ont trouvé depuis hier un nouveau héraut en la personne de Gilles Bourdouleix, député-maire de la placide ville de Cholet. Son fait d’arme n’a rien de bien héroïque : visitant un campement illégal installé sur un terrain de sa commune, l’élu aurait répondu aux « Heil Hitler » que lui lançait une partie des habitants du campement par un désormais malheureusement célèbre « Hitler n’en a peut-être pas tué assez ». Le point Godwin a cette fois-ci été atteint assez rapidement, mais ce type de propos semble être devenu une nouvelle posture (électoraliste ?) pour certains élus. Rappelons-nous des propos de Brice Hortefeux, alors ministre de l’Intérieur, s’étonnant tout haut de la taille des caravanes et, plus récemment, du maire de Nice, Christian Estrosi, se donnant pour mission de « mater » ces « délinquants ». Passons sur les approximations et les raccourcis trop faciles qui suivirent, associant indifféremment Roms étrangers, gens du voyage de citoyenneté française, et autres personnes mobiles.

Derrière les flatteries et les appels du pied même plus voilés à destination de l’électorat frontiste, cette croisade anti-gens du voyage ranime la lutte existant depuis l’avènement de la domination urbaine entre sédentaires et nomades, lutte dépassant largement les frontières françaises. L’ostracisme dont sont victimes les nomades en France n’est finalement pas si différent de celui que subissent les pasteurs du Sud-Soudan, du Ladakh ou des provinces chinoises du Xinjiang, de la Mongolie intérieure ou du Tibet. Si les griefs varient – volonté du pouvoir central chinois de contrôler les espaces ruraux des provinces autonomes ; conflit sur l’accès à l’eau dans le contexte soudanais –, ce sont finalement deux conceptions diamétralement opposées de la pratique de l’espace et de son appropriation qui entrent en lutte : celle du sédentaire pour lequel bornage territorial et propriété privée sont les bases de l’organisation sociale et celle du nomade, mobile, qui se jouent des découpages et des frontières élaborés par les appareils étatiques.

La mobilité n’est acceptée que quand elle est encadrée et qu’elle devient ressource économique. Il est étonnant de voir que l’argument esthétique : « les caravanes des gitans polluent nos beaux paysages français ! » ne s’appliquent jamais aux défilés estivaux de camping-cars laids et polluants déferlant sur les littoraux dès les premiers beaux jours. Les convois de dromadaires dans les dunes du Sahara ou les troupeaux de yaks sur les hauts plateaux mongols sont devenus de nouveaux arguments touristiques « cartepostalisés » tandis que les plus rêveurs y voient le symbole de grands espaces et de liberté. Pas sûr que les convois de caravanes le long des départementales françaises suscitent pour le moment le même engouement.

Finalement, Bourdouleix, Estrosi et consorts ne font qu’instrumentaliser la peur ancestrale des populations sédentaires face à des pratiques spatiales qu’elles ne comprennent pas. De Cervantes à Hergé en passant par Conan Doyle ou Zevaco, la littérature a relayé les préjugés sur la figure du Bohémien, homme mobile, interlope, incontrôlable, suspect de tous les crimes et larcins possibles et imaginables. Il est plus que dommageable que ces images d’Epinal soient utilisées dans le discours et les idées d’hommes politiques censés diriger, la tête froide, un pays.

 

 

 


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