Voulez-vous vous tuer sur une route ? Conseils.


Mes étudiants connaissent le poisson globe (fugu, 河豚) que certains Japonais affectionnent pour le risque qu’ils prennent en le mangeant au restaurant. La tétrodotoxine qu’il contient est responsable de plusieurs dizaines de morts chaque année au Japon. On me dit que les Japonais étant ce qu’ils sont, on ne saurait confondre le goût du risque d’un Japonais avec celui d’un Européen, forcément raisonnable.

Je vous invite donc à un petit voyage sur la route du Klausen, 46 km reliant Glaris à Uri, en Suisse. Attention ! Vues grandioses, effroi garanti. A peine engagés sur la route en bas du col, une première couronne mortuaire (ruban de soie italien) signale une victime transalpine. Au même endroit, un père et son fils ont sauté sur la rambarde à moto au printemps, et plus anciennement, un quad. Plus haut, les couronnes sont plus rares, il n’y a souvent plus rien pour les accrocher, sinon un piquet, un poteau de métal.

«Le Klausen est l’un des cols les plus dangereux de Suisse pour les motards», tranche Hansruedi Imholz, un patrouilleur du Touring Club Suisse qui a secouru de nombreux véhicules en panne sur cette route (S. Besson, Le Temps, 19 juillet 2013). Au détour de l’un des 128 virages, la neige fondue, les vaches buissonnières, les premiers cristaux d’eau gelée : tout peut vous être fatal.

La fatalité vient aussi du paysage : les formes sont grandioses, fantastiques, les ravins vertigineux. Un instant d’inattention ? Hop, au ravin. Le frisson vous est garanti sur la « Lini« , juste après le col, une section taillée dans une falaise avec un à-pic de 700 mètres. Parfois, c’est moins jouissif pour des gens de plats pays peu entraînés : «On a dû secourir un Hollandais qui s’était immobilisé dans une niche tellement il avait peur de tomber, se souvient Heinrich Meier, de la police cantonale uranaise. C’est moi qui ai dû conduire sa voiture jusqu’au col », rapporte-t-il à S. Besson qui s’est fait raconter par un vacher la chute nocturne d’une voiture, phare allumés, jusqu’au fond de la vallée…

Le danger est un plaisir

Alors, les Suisses, vous ne faites rien pour sécuriser cette route ? Vous faudra-t-il un procès comme celui intenté par cette famille allemande dont le fils s’est tué à moto dans la Lini ? Les responsables de la route ont vu récemment un véhicule de service partir dans le précipice avec un chauffeur, plein de sang froid, qui sauté et s’est accroché aux branches… Mieux que dans un blokbuster ! S. Besson décrit une horloge peinte sur la «pierre du temps», au bord de la route, rappelle qu’ici, il est toujours «midi moins cinq» – expression qui signifie que le sort de chacun est incertain, que nul ne peut savoir ce qui lui arrivera dans les prochaines minutes.

Pour les fous du frisson, il y a les courses de côte du Klausen en septembre où l’on tentera des records de vitesse.  « Comme un hommage à cette route, conclut S. Besson, une route dont la beauté, pour tous ceux qui vivent et travaillent autour d’elle, surpassera toujours le côté mortel« .

 

 

 


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