Marseille, le Bronx de la France


Adrien Anigo, mort par balle, septembre 2013

Si la série noire se poursuit à ce rythme d’ici la fin de l’année, on atteindra à Marseille les vingt morts par balles comme cela se passe en Corse, en Sicile ou en Colombie. Oui, Marseille, cette ville que les Français ont découvert avec Pagnol et que Guédiguian embellit de pastel dans ses films. Pourtant, le décor de rêve devient celui d’un cauchemar qu’aucune virée, fût-elle multiministérielle, ne saurait arrêter.

On accusera facilement le système Gaudin comme il y eut le système Defferre. Des hommes politiques ignorant tout de l’économie, à la tête d’une ville où les réseaux qui se délitent et tuent des jeunes de 25 ans dans une ambiance de fatalité. La question pour les Marseillais est de savoir si les télévisions, les robinets à angoisse que sont les chaînes info et leurs sirènes, gyrophares, flics, ambulanciers ne devraient pas être éteintes.

La gangrène à Marseille n’est plus celle qui fit les heures du grand banditisme qui touchait aussi Lyon à l’antique époque des années 1960 et 1970. C’est celle de la drogue, issue largement du sous-emploi, des carences éducatives et de la faible mixité sociale. Les chiffres valsent, le ministre affirme que les atteintes aux personnes ont diminué de 14% et les cambriolages de 20% sur un an, mais personne n’est dupe. L’armée appelée en renfort par la sénatrice (socialiste !), Samia Ghali, ne résoudra pas le retard dans les transports, l’éducation, les équipements. « Marseille, c’est trente ans de ghettoïsation » affirme-telle (1) Et un chômage qui atteint jusqu’à 50% dans certains quartiers.

Le bobologue du Lubéron, Jean Viard, a beau relire Dickens pour se rassurer que les ports ont toujours été des lieux de trafic, il n’empêche. La comparaison avec Hongkong ou New York n’est pas flatteuse. « Et puis, ce n’est pas une ville capitale. Paris l’a un peu délaissée. C’est frappant: les gens d’ici ne disent pas qu’ils sont fiers de Marseille, mais qu’ils sont fiers d’être Marseillais ».  La belle affaire !

On fera confiance à Jean Dujardin pour nous expliquer dans le film qu’il est en train de tourner à Marseille sur la French connection pourquoi la criminalité ici n’a pas la géographie traditionnelle qui est celle de la banlieue. Les trafics se sont déplacés dans les quartiers centraux comme dans les villes américaines. Les trafiquants qui sortent de prison sont rattrapés par les bandes et paient leur dette en ville.

Le Mucem à Marseille ou le syndrome de Bilbao

Ne s’est-on pas moqué de Marseille, Capitale européenne de la culture 2013, en pensant qu’un musée (le syndrome de Bilbao) aussi flamboyant que le Mucem, inauguré par le président de la République en personne, allait régler les choses. Jean-Claude Gaudin, le maire UMP dans son fauteuil municipal depuis dix-huit ans, a beau parader et se vanter d’un record de fréquentation, est-ce la solution pour Marseille ? Marseille ne souffrirait que d’une mauvaise image ? Il ne faudrait que de la vidéosurveillance, des policiers équipés d’armes non létales ?

C’est donc bien cela, Marseille. Une galéjade politique qui tourne aux drames qu’on est impuissants à arrêter.

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(1) Le Temps, 5 septembre 2013

Pour en savoir plus,  Geographica a publié sur Marseille :

Quand les animaux font du théâtre

Le Mucem en majesté


Une réponse à “Marseille, le Bronx de la France”

  1. J’ose croire que dans une étude sur l’impact des homicides dans les représentations d’un territoire, Sevran, la Guadeloupe, qui ne sont pas épargnées, passeraient largement derrière Marseille, tout de suite plus connotée. Il faut dire que le cinéma n’a pas arrangé les choses (Les « Borsalino », « French connection II », ou encore les beaux films de JP Melville « Le cercle rouge », « le deuxième souffle »). Le « décor de rêve » devient donc « cauchemar » ? Pour qui exactement ? Ce sont les gangs qui s’entretuent : luttes de clans, de territoires, de règlements de compte de dettes à honorer. On se focalise sur le fils du directeur sportif, dont la charogne mérite une photo sur votre page (Adrien Anigo), mais le gars en question n’était pas innocent ! La population « civilisée » est-elle vraiment affectée dans son quotidien, angoisse, crainte ? Pour y avoir vécu 23 ans, je n’en ai pas le sentiment. Les marseillais ne se lèvent pas chaque matin en se demandant si une balle va leur « tomber sur la tête ». Les fusillades ne sont pas un paysage familier pour la population, n’en déplaise aux « Guignols de l’info » à propos de leur sketch sur les marseillais en vacances en Afghanistan, pour qui le pays semble bien calme par rapport à ce qu’ils vivent sur la Cannebière.

    De beaux sujets de mémoire, je crois :

    Le rôle des médias dans cette fixation sur la ville ; enquête auprès de parisiens et de provinciaux pour qui Marseille reste une ville où « il ne fait pas bon vivre », à fuir, sans jamais n’y avoir mis les pieds d’ailleurs.

    Modification des trajectoires de certains bus RTM qui contournent les quartiers « à risques » (incendie, agressions chauffeurs, caillassage…) : quelle stratégie de mobilités pour les populations concernées ?

    En dernier lieu, à propos du « cabanon de Jean-Claude » : l’accès règlementé à la calanque de Sormiou en période estivale mériterait d’être étudié. En dehors du risque d’incendie, ce sont des catégories populations particulières qui sont visées, au premier rang desquelles les jeunes maghrébins de la Cayolle – « cité » de type quartiers Nord mais située… à l’extrême sud de la ville, à l’entrée de la calanque de Sormiou – y sont refusés, car ils véhiculent des modes de pratique qui perturberaient la tranquillité des vacanciers dans leurs cabanons ou sur la plage (nuisances sonores, attitude non-conforme à l’idée que l’on pourrait se faire de cet espace etc.). La mise en place d’un accès exclusivement réservé aux propriétaires de cabanons obligent à contourner l’accès traditionnel par des chemins plus ou moins perilleux. Ce conflit d’usage d’un espace public (une des rares calanques habitée) quasi privatisé durant les vacances d’été mériterait d’être analysé pour comprendre les véritables raisons qui ont pu pousser les propriétaires à contrôler l’accès à cette calanque.

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