Un atlas qui soulève les montagnes


Imaginez-vous rédacteur ici, sur ce blog, et que deux amis de la dynamique université de Chambéry vous envoient leur dernier livre(1)  que vous trouvez… génial. Gênant d’en dire du bien si ce sont vos amis ?  Solution : sonnez trompettes, résonnez musette et signez sous un pseudo. J’ai connu une journaliste dans un des trois news magazines français qui avait fait l’éloge du livre de son mari sur quatre pages : fastoche, elle ne portait pas le même nom.

Alors, je vais donc vous dire pourquoi cet Atlas des montagnes est un livre chouette. Notez que « chouette » est affectueux et témoigne tout autant du caractère épatant du livre. Notez aussi que je ne vous dis pas de l’acheter. Je suis juste content que vous sachiez qu’il existe. On ne sait jamais. Comme les petits pois qu’on a toujours chez soi, certains atlas sont à leur place près de la cheminée, ou si vous vous échouez sur une île, vous savez ce qu’il vous reste à faire….

Ça commence sur les chapeaux de roue avec une ruade de la mairesse de Chambéry, Bernadette Laclais, j’allais dire une Angela Merkel des Alpes qui tance les géographes au cas où ils traîneraient l’idée pieuse des montagnes comme frontières naturelles. Non, « elles ne divisent pas les hommes, elles les rassemblent ». Circulez, les géographes ! Et l’introduction en face de ce coup de sang se tient à carreau : « La réinvention permanente des mondes d’en haut ». C’est tranquillou, ça ne mange pas de reblochon, et la mairesse peut faire des cadeaux géo à l’Hôtel de Ville.

De ces presque cent pages très astucieuses, surprenantes, documentées, savantes sans être précieuses ou ridicules comme on voit parfois, on ne rendra pas compte de tout. Mais en feuilletant, on jubile : je sais désormais comment les Chinois et Japonais nomment leurs montagnes, pourquoi les « Alpes » sont dinariques, néozélandaises, scandinaves et auraient pu être parisiennes : l’Institut de géographie sur les alpes de la Montagne Sainte-Geneviève, ça aurait été funny et Raoul Blanchard en eût quitté Grenoble.

On a compris : les savants géographes auteurs s’intéressent aux appellations, aux mesures, aux explorateurs, aux ascensions et les maniaques des collections. Très au fait par leurs travaux sur tout ce qui touche les traversées, les auteurs traitent des techniques (le chemin des Incas dans les Andes, par ex.), se moquent de Mao qui citait un vieux paysan voulant déplacer les montagnes, deviennent sérieux lorsqu’ils mettent les montagnes dans la guerre, traitant des fortifications, des refuges (vous attendiez le Liban ? il y est !).

L’atlas prend, ensuite, une teinte « Roger Brunet », non pas chorématique (pour les ignorants, voyez la fiche Wikipedia) mais pour les annonces qui font un brin CNRS : les montagnes sont « vides » ou « pleines », on y reste ou on migre, on innove… Curieusement (ou astucieusement, c’est selon), la question de la protection, la faune et les arbres font partie des aménagements, avec  « le froid et le chaud » (on attendait aussi « le sec et l’humide »), l’eau (avec une citation d’Antoine de Saint-Exupéry), les déchets et, sommet de l’art géographique : les risques. Sur cette épineuse question, on aurait pu mettre un petit encadré pour montrer comment les Chinois se marreraient de nos pleurnicheries sur les pentes et leurs contraintes. Mais en cent pages, on donnera l’indulgence plénière à nos auteurs.

Atlas, c’est aussi le nom d’un massif montagneux au Maroc

Le gâteau, c’est pour la fin. Le tourisme et ses « cheminements », « la montagne, c’est la santé » (euh, ça coûte combien à la Sécu toutes ces jambes cassées de l’hiver et les recherches hélitreuillées ? les morts de l’été dans le Massif du Mont-Blanc ? ), le ski, les « nouvelles glisses » (tout sur les Half Pipe, Big Air, Table Perfect Jump pour ne pas paraître trop plouc à Grouse Mountain, quand vous skierez la nuit, waouh).  Puis vient la « pleine nature » (courses, APN) sans allusion aux montagnes défigurées tout juste bonnes à figurer dans un Atlas de l’écologie critique, à faire faire à Genève.

Et sur le gâteau, une cerise : « Fantaisies montagnardes« . Je m’attends à la meringue autrichienne sur le Sacré Coeur de Montmartre ou la pâtisserie bavaroise, je ne suis pas loin : voici les moines (itinéraires au Tibet), les montagnes sacrées, rêvées, maudites, fantômes avec leur bestiaire (dragon, dahu, yéti et autre bête du Gévaudan), les montagnes dans la publicité et l’art, avec Spielberg, Turner, Cézanne, mais l’absence du Cervin sur les plaques de chocolat suisse va handicaper sérieusement les ventes de l’atlas à Lausanne) (2).

Et dans la cerise, un noyau : « la montagne loin de la montagne » avec deux cartes dont on se demande si elles n’auraient pas figuré dans un traité de pataphysique : skier en Belgique (terrils) et les montagnes à Paris (jalousie pardonnée à nos auteurs savoyards).

Pour être sérieux, il faut parler de la biblio (Blanchard, puni parce que les Savoyards n’aiment pas les Dauphinois), les index (relus à la main, s’il-vous-plaît), les citations (Buache, mais aussi Hergé ou encore un proverbe éthiopien) et les remerciements à 37 personnes et institutions nommés : c’est dire que la dette était immense mais méritée. Car ce sujet sérieux et massif a été traité avec élégance, humour, intelligence.

Il y a des jours comme ça : on se sent bête de ne pas habiter Chambéry.

 

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(1) Atlas des montagnes, Xavier Bernier et Christophe Gauchon, Autrement (presque 20 euros)
(2) Le roman du chocolat suisse, Gilles Fumey, Le Belvédère (idem)

Pour en savoir plus : un de nos derniers articles sur les montagnes

Skier nu dans les montagnes, c’est possible !

 


2 réponses à “Un atlas qui soulève les montagnes”

  1. Puisqu’il est question de montagne(s), de Festival International de Géographie et donc d’UGI, ne pas oublier le « Les Montagnes dans le Monde » (Glenat, 1999) sous la direction de B.Messerli

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