Pourquoi les fesses sont géopolitiques


Lorsqu’un sociologue connu et respecté, Jean-Claude Kaufmann, directeur de recherches au CNRS, s’intéresse aux postérieurs humains, ça donne quoi ?

En se penchant sur  notre globe terrestre, Kaufmann voit une frontière pays riches/ pays en développement marque une limite entre petits formats fessus au Nord et formats généreux au Sud. Mais rien ne va dans la tête des femmes pour lui : au Nord, on se revendique charnue comme les belles plantes de Copacabana et au Sud, on rêve des silhouettes en « i ». Chirurgie esthétique avec injection de graisse au Nord, liposuccion au Sud.

Pour Jean-Claude Kaufmann, interrogé par Anne-Claire Genthialon (1), inconstestablement, les fesses sont géopolitiques car il y a là une affaire de domination culturelle. Quels sont les critères de la beauté ? Comment se définit le désir ? Pour lui, l’Occident blanc et chrétien en dominant le monde a imposé l’ultraminceur comme norme. Mais ce diktat, pour lui, toucherait à sa fin. Les rondeurs mènent la controffensive, la sensualité et la volupté, le refus de la froideur du Nord, tout cela gagne du terrain.

Beyoncé (source : www.public.fr)

Dans les pays occidentaux, être longiligne est un signe de distinction sociale qui a essaimé à Abidjan et Rio où l’on rabote les trop importantes rondeurs. Mais en même temps, les clips vidéos sont pleins de fesses rondes, et les stars en rajoutent : voyez Beyoncé, Jennifer Lopez ou Nicki Minaj. « Cela construit l’identité différemment et peut enfermer dans une féminité ‘objet de désir’ » qui est contraire à l’invention de la personne avant celle de la femme.

Pour notre géopoliticien du dimanche, les fesses féminines sont le centre de tels enjeux car elles sont plus transgressives que les seins (« doux et caressants, que l’on n’hésite pas à montrer sur la plage ») pourtant stigmatisés par le christianisme qui leur a préféré le visage comme attribut de la beauté féminine. De ce fait, les fesses sont la « partie honteuse ». Même si chaque époque produit ses silhouettes de référence : les Romaines élargissaient leurs hanches avec des pommades à base d’ail, les Européennes du XIXe siècle exagéraient la cambrure avec les postiches et dans l’insécurité alimentaire, un corps rond était valorisé. La « pin up » au physique augmenté (Gina Lollobrigida, par ex.) gagne du terrain dans les années 1960 avant d’être à nouveau battue par la minceur.

Le David, Piazza Michelangelo, Firenze

Et les hommes ? Bien sûr, ils sont sensibles aux rondeurs des femmes mais ce ne sont pas eux qui décident ! Quant à leurs fesses, elles ne posent pas de problème comme le ventre. Mais « depuis peu, leur fessier est un peu plus regardé » (2). Pour les fesses féminines, J.-C. Kaufmann croit distinguer une schizophrénie masculine qui aime la minceur sociale et la rondeur érotique.

La géopolitique (donc la domination), c’est aussi de l’économie. Des multinationales, des médecins, des labos qui vendent de l’ultraminceur ou de la rondeur. Des seins, les praticiens sont passés aux fesses. Les modèles sont de plus en plus variés et personnalisés. Mais durent les mythes, véhiculés par les artistes, tel Michel Ange et ses sculptures, dont Florence s’est emparé pour charmer les foules de touristes potaches qui sillonnent la ville en quête d’identité.

 

 

 

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(1) Libération 7 octobre 2013

(2) Voir l’expo sur le nu masculin au Musée d’Orsay

 


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