Le climat, grand oublié de l’architecture industrielle


Un article récent du Monde rapporte un entretien entre Pierre Radanne et la journaliste Sophie Landrin à propos de l’urbanisme importé en Afrique (reproduit ci-dessous).

En effet, nous évoquions ailleurs le problème posé par la climatisation en terme de consommation d’énergie. Mais le problème est plus vaste et en définitive, c’est l’architecture elle-même qui devrait s’intéresser au climat; comme le dit l’article, les techniques de construction traditionnelle prenaient en compte le climat pour proposer des demeures agréables. Mais l’arrivée de matériaux de construction industriels, comme le béton, a totalement remis en cause ces techniques au point de les faire quasiment disparaître dans certains cas.

Des maisons en terre plutôt coquettes

A cela s’ajoute le fait qu’une construction « en dur » (en béton), c’est à dire à l’européenne, est souvent perçue comme prestigieuse, au contraire des bâtiments en terre. On abandonne alors les maisons anciennes en terre pour s’installer dans des maisons en ciment. D’autant plus que les maisons anciennes impliquaient un mode de vie plus communautaire.

On comprend bien dès lors que le climat est autant une affaire de perception que de représentation, et l’architecture suit ou non ces tendances. Mais la remarque n’est pas valable que pour l’Afrique: elle l’est pour tous les territoires sous influence occidentale, qui a comme « modèle » le climat tempéré. Cela donne des villes invivables à moins d’avoir recours à la climatisation, qui est une sorte d’aveu d’impuissance face aux caprices du climat.

« Nous avons importé en Afrique un urbanisme inadapté »

LE MONDE | 11.12.2013 à 12h41| Propos recueillis par Sophie Landrin

Pierre Radanne, ancien président de l’Ademe, est rédacteur du futur plan climat de Dakar.

La colonisation serait selon vous responsable de la vulnérabilité des villes africaines, pourquoi ?

Les pays africains avaient des modes de construction traditionnels adaptés à leur climat. En zone humide, des cases bien ventilées pour faire de la fraîcheur ; en zone chaude et sèche, au sud du Sahara, des murs en terre très épais avec de petites ouvertures pour empêcher la chaleur d’entrer.

Au début de la colonisation, les Européens ont réalisé des constructions respectueuses de ces traditions, mais, à partir de la seconde guerre mondiale, ce modèle a explosé. Il a fallu bâtir des logements pour le plus grand nombre, le plus vite possible.

L’Afrique est entrée dans l’ère de la construction industrialisée et la colonisation a eu un effet très pervers : on a transposé en Afrique l’urbanisme des pays tempérés, totalement inadapté. On a produit les mêmes logements sociaux qu’en France, des HLM sans isolation, sans protection contre le soleil. On a livré des bureaux en verre et acier, invivables.

Avec quels effets sur la consommation d’énergie ?

Pour combler ces conditions d’inconfort catastrophiques, les urbains ont eu recours massivement à la climatisation. Mais les compagnies électriques ont été incapables de gérer cet appel de puissance. Elles se sont endettées, car les consommateurs étaient insolvables. Déficitaires, elles n’ont pu progresser dans leur programme d’électrification du pays.

Cet urbanisme n’a pas empêché les bidonvilles de prospérer ?

Au Sénégal, qui n’est pourtant pas le pays le plus pauvre, 83 % de la construction est informelle. La croissance de la population urbaine va plus vite que les programmes de logements. Donc les nouveaux arrivants investissent des zones délaissées, car inondables, dangereuses, en bord de mer.

Comment construire pour le plus grand nombre tout en s’adaptant au changement climatique ?

Il faut d’abord faire reculer les constructions côtières, améliorer la gestion des sols, les canalisations, utiliser des matériaux traditionnels comme la terre, résistante à la chaleur. Cela réduira d’autant les besoins d’importation de matériaux et fera travailler l’économie locale. Et limitera les besoins de climatisation, et donc assainira les comptes des compagnies électriques. Si elles retrouvent progressivement une clientèle solvable, elles pourront investir dans des énergies renouvelables et s’affranchir des énergies fossiles.

Les pays les plus pauvres ont l’électricité la plus chère. Il faut aussi s’attaquer à la pauvreté rurale, premier moteur de l’immigration vers les villes et l’étranger, en reboisant, pour freiner l’avancée du désert et protéger les récoltes.

Sophie Landrin
Journaliste au Monde


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