Périmètres sensibles de la vie privée de François Hollande


Ci-dessus: La chambre du roi à Versailles. Louis XIV s’y installe en 1701 et y meurt d’une gangrène en 1715. C’est là que se déroulent les cérémonies du lever et du coucher du Roi.

 

La vie privée a un espace à géométrie variable. Qu’on soit président, enfant ou femme, cet espace est celui qu’Abraham Moles et Élisabeth Rohmer ont théorisé en 1966 comme la « psychologie de l’environnement ». Pour la première fois, grâce à leurs travaux patronnés par Bachelard, on dispose d’une analyse du cadre de vie qu’ils décrivent comme multidimensionnel, à la fois poétique, géographique, sociologique. L’espace est « perçu » mais il existe par celui qui l’habite et qui en modifie la perception.

La violation de l’espace privé d’un homme public, en l’occurrence un président de la République, par des paparazzi me rappelle ce très beau livre de Michelle Perrot, Histoire de chambres (Seuil). L’historienne explique ce qu’est l’espace privé pour un Occidental. En passant par la chambre à coucher du roi jusqu’à celles des des enfants, des malades, des couples et des groupes. Une exploration de l’intime que les géographes ont peu pratiqué. Elle y expliquait avoir travaillé sur le lien entre les prisons et les cellules monastiques dont l’étroitesse confortait les pénalistes et les théologiens sur les bénéfices de l’isolement pour la réintégration des prisonniers et la sanctification des moines. Tocqueville disait : « Se retrouver soi-même ».

Gilles Deleuze qui qualifiait Michel Foucault de « nouveau cartographe » décortiquait la « privatisation » de l’espace de l’individu. Dans ce contexte, Michelle Perrot explore donc la chambre du roi dont il existe, pour elle, deux versions qui montrent qu’on est alors dans une période de transition : la chambre dite « de parade », forcément publique dans ces châteaux où la circulation impose, faute de couloirs, d’enfiler les pièces les unes après les autres pour se déplacer ; et la chambre « de retrait », lieu intime où le roi reçoit la reine ou ses maîtresses. La géographie de Mme de Maintenon à Versailles est celle de la deuxième chambre. La chambre des puissants est un lieu qui fascine: chambre n°15 du Vieux-Morvan à Château-Chinon, chambre n°2806 dans un célèbre hôtel de New York.

Émile Littré dans son dictionnaire (1863-1872) explique que « la vie privée doit être murée ».  A l’époque victorienne, la création de la chambre à coucher dans les appartements bourgeois qui se normalisent vers 1840 impose qu’on la justifie par la médecine, la religion, la politique, l’architecture, l’esthétique (mobilier, confort, etc.). Michelle Perrot défendait l’idée que la chambre était le lieu des femmes, rappelant les liens symboliques exprimés sur les Annonciations des peintres italiens. Aujourd’hui, dans de nombreux appartements, les objets de ce qui était dans la chambre des adultes sont escamotables, les lits sont devenus pliants ou servent de canapés, contrairement à ceux de l’enfant-roi qui garde son espace. On n’accouche plus et on ne meurt plus dans la chambre.

De fait, l’intimité s’est déplacée dans les images, celles de son album photo, de son téléphone portable, de sa page Facebook. Et aussi sur les écrans publics où surgissent des images de la sphère privée qui tentent d’y trouver leur place. Au grand dam de François Hollande, pris dans ce tourbillon-là.

 

 

 


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