Les recettes du bonheur, ou Bollywood-sur-Tarn


Les recettes du bonheurDans les tartes à la crème de la mondialisation,  Les recettes du bonheur pourraient figurer au panthéon. Sur la Piazza Grande de Locarno (Suisse) ce 12 août 2014, ce film du Suédois Lasse Hallström, produit notamment par l’Américain Steven Spielberg, veut raconter l’histoire d’un cuisinier indien, échoué en France dans un village (imaginaire) du Jura mais dont les scènes sont tournées à la fois chez Luc Besson à Saint-Denis, à Saint-Antonin-Noble-Val et Carlus dans le Sud-Ouest, pour un cuisinier, donc, de Mumbai confronté à la gastronomie française représentée par l’actrice… britannique Helen Mirren. Sur le tournage, on a parlé anglais, hindi, suédois et français. Pour la distance culturelle, c’est cent pas qui séparent deux restaurants. Cent (petits) pas mais un océan de préjugés que le film va permettre de franchir.

Sur la Piazza où la (légère) pluie n’a pas chassé les fans de cinéma, le public veut savourer cette histoire abracadabrante parce qu’il doit se contenter, pour la plupart, de pizzas mollassonnes, de sandwiches aux garnitures indéfinissables, de glaces trop généreuses pour être honnêtes et de bières sans âme… Plus l’industrie assassine la cuisine, plus elle incarnerait les saveurs de la liberté, de l’innovation, de la générosité.

L’Anglaise représentant la gastronomie française dans toute son arrogance

Le roman de Richard C. Morais (Le voyage de cent pas, trad. 2011) est tiré par tant de ficelles que les images n’en paraissent que plus niaises. Notamment à l’écran où le photographe Linus Sandgren (aperçu chez Gus Van Sant, Promised Land) ne recule devant rien pour faire saliver le public : pigeon aux truffes présenté comme une œuvre d’art, stand (reconstitué) d’épices au marché à ciel ouvert de Saint-Antonin où l’on préfère (en vrai) les cèpes et le foie gras… Les efforts consentis par le jeune cuisinier indien, Hassan (Manish Dayal) dans l’apprentissage de la haute cuisine, se justifient aux yeux des riches Occidentaux enfin compris par ces étrangers.

Le film est méprisant pour l’Inde, franchement vulgaire dans sa présentation caricaturale de l’Autre présenté comme un inculte et un imbécile qui viendrait apprendre en Europe les clés du bonheur. Car évidemment l’Indien fuit le malheur (en l’occurrence, ici un incendie). Les recettes sont, ici, les paysages de vignoble, les villages et églises en pierre de taille, mais le décor et le récit donnent de l’Inde l’idée d’un pays de cinglés, irresponsables pour s’être égarés avec une caisse pourrie dans une cambrousse qui ne les attendait pas, des inconscients qui s’installent en face d’un restaurant étoilé comme le suggère le seul gamin de la tribu comprenant un peu les choses, sans doute pour dédouaner le réalisateur.

La ficelle est si grosse qu’Oprah Winter, la co-productrice, balaie ces scrupules : « La nourriture joue un rôle crucial dans la cohésion familiale. Elle pousse les gens à s’accrocher. La cuisine les nourrit d’un point de vue spirituel et émotionnel ». De fait, on louera les scénaristes d’être parvenus à faire sentir le gingembre dans le poulet tikka, l’arôme marin dans l’oursin, la saveur de la cardamome et du safran. Et Om Puri, l’acteur contre lequel se bat Mme Mallory, ferait presque un mea culpa derrière son argument visant à convaincre la rigide Anglaise : « En Inde, nous sommes plus détendus envers la nourriture ».

De fait, le grand théâtre gastronomique français devient la référence pour ces talents étrangers inconnus. Même si une pauvre omelette de facture familiale permet à Hassan d’exercer son génie après avoir appris les cinq sauces : « Une omelette mitonnée avec du piment en poudre, du babeurre, beaucoup de coriandre et un soupçon de poivre noir ». Tout le film tourne sur un jeu malsain visant à récompenser ces pauvres Indiens qui se hissent au niveau de l’excellence française après avoir ingurgité le livre de cuisine de Jules Gouffé (1867). La bêtise crasse de Spielberg nous vaut cette hypocrisie indépassable : « Tous les gens sont égaux face à la nourriture ». A condition qu’ils apprennent les codes de la gastronomie française.

Le chimiste Hervé This en prendra plein les éprouvettes : « La cuisine moléculaire, lui assure le scénariste Steven Knight, relève de la science. Elle ne fait pas appel aux émotions. Elle n’évoque aucune tradition » expliquant pourquoi Hassan à Paris, dans une « cuisine inoxydable, remplie de tubes de laboratoire et de glace carbonique » songe à sa « cuisine pleine de souvenirs », le poussant à revenir au village après avoir gagné sa 2e étoile.

Charlotte Le Bon et Manish Dayal rejouent Bollywood-sur-Tarn

On veut bien voir l’allusion à Bernard Loiseau qui a payé de sa vie le caractère impitoyable de cet argent-roi qui fait la loi dans ce paradis infernal et sa bible écrite par le roi du pneu Michelin. C’est peut-être l’Indien Om Puri qui aura le dernier mot lorsqu’il lâche à son ennemie britannique que « la cuisine [française est] classique parce que c’est une cuisine de classe ».

Les recettes du bonheur que les Américains chercheraient en France sont peut-être bien dans le terroir de cette comédie loufoque. Si elles ont coûté la vie à un grand chef bourguignon, elles récompensent une famille de pauvres Indiens sauvés par le talent d’un des leurs. Mais elles ne sauraient se confondre avec cette caricature d’une gastronomie française de théâtre. Quand les Américains jouent Bollywood dans le Tarn et à Paris, c’est une jolie farce néocoloniale qu’on ne nous fera pas avaler.

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Sortie en salles en France, le 10 septembre 2014

Une idée du film ici

 

 

 

 


Une réponse à “Les recettes du bonheur, ou Bollywood-sur-Tarn”

  1. excellent petit film qui se moque gentiment du snobisme culinaire d’une France somme toute fort jeune comparée aux Indes, culture multimillénaire.

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