La Bolivie, une croissance à contre-courant?


Tandis que la sinistrose économique semble s’installer (à tort ou à raison) durablement en Europe, la Bolivie d’Evo Morales, quant à elle, fait partie des pays qui tirent plutôt bien leur épingle du jeu. Comme le souligne un article du journal le Monde, la Bolivie connaÎt une croissance économique importante, due en bonne partie, selon son président, à la « nationalisation » des industries des hydrocarbures. Depuis le 1er mai 2006, la Bolivie a en effet renégocié ses contrats avec les grands groupes qui exploitent les gisements de gaz et pétrole, avec l’appui de l’armée… Le résultat? Un PIB qui a triplé en quelques années, et une croissance actuelle aux alentours de 5,2%.

Nationaliser? Ce mot ferait trembler la Commission Européenne et apparaît comme une incongruité ou même obscénité dans le contexte néo-libéral actuel. De la même manière que l’on est parvenu à nous faire avaler la couleuvre que la lutte des classes était une fiction, on nous fait croire que la seule manière d’assurer la sacro-sainte Croissance était de « libérer les forces de l’économie » en privatisant à tour de bras. Mais comme on l’a vu, on nationalise les pertes tandis que l’on privatise les profits. Comment peut-on accepter sans broncher des mensonges aussi grossiers? Sans la société du spectacle qui est décidément la nôtre, tout le monde devrait déjà être dans la rue depuis longtemps, mais il n’en est rien. On souffre en silence pour respecter cette déesse Économie qui dévore ses enfants.

Quant aux politiques d’Amérique latine, populisme et démagogie mis à part, reste des postures politiques inconcevables en Europe. Pourtant, faut-il rappeler que la plus forte période de croissance économique (si l’on juge la « réussite » d’un pays à ce seul critère quantitatif!) a eu lieu en France avec de grandes entreprises nationalisées et un fort encadrement par l’État? On faisait, pendant les Trente Glorieuses (en gros 1945-1975), de l’économie capitaliste planifiée, et ça marchait. Et que l’on ne nous parle pas de nostalgie: le problème est devant nous, pas derrière.

Du reste, la plupart des pays « développés » actuels (Corée, Japon en tête), ont mené des politiques économiques fortement étatisées au moins pendant un temps. Dans le cas de la Bolivie, les grandes entreprises ont été « remises à leur place », et visiblement la population bolivienne a plébiscité ces mesures.

Pourquoi? Dans le cas précis de la Bolivie, pays andin enclavé parmi les plus pauvres du continent, on pourrait appliquer presque littéralement les théories de Marx sur l’exploitation des masses. Les populations d’ascendance indienne ont été impitoyablement exploitées pendant des siècles, pour le profit de quelques nantis issus pour la plupart des descendants d’Européens. Caricatural? Allez faire un petit tour à San Luis de Potosi, ancienne mine d’argent qui a irrigué toutes les cours d’Europe pendant quelques décennies, et visitez en particulier l’Hôtel de la Monnaie. Vous pourrez vous faire une idée tangible de ce que le mot opprimer peut vouloir dire.

C’est pourquoi cette décision dont se félicite tant Morales, lui-même d’origine indienne, est très populaire auprès de sa population. Elle redresse peut être un peu l’Histoire, et rend un semblant de dignité à une population méprisée pendant des siècles. Bien entendu, certains économistes ont beau jeu de dénoncer une croissance « intenable », parce qu’elle est fortement liée au cours des matières premières: si la Chine tire les cours vers le haut, cela laisse néanmoins le temps au pays d’investir dans son économie pour le bénéfice de toute sa population, et non seulement pour quelques uns qui, comme c’est souvent le cas en Amérique du sud, ont placé leurs avoirs bien loin du pays. Le patriotisme des nantis est tout relatif, l’Histoire l’a trop souvent prouvé.

Morales fait cependant un abus de langage quand il parle de nationalisation: il a juste renégocié de manière musclée les contrats avec les grands groupes. Mais ceux-ci ne sont pas pour autant partis: le gâteau devait encore être alléchant, malgré les impôts à 75%… Avidité? C’est sans doute le mot qui caractérise le mieux notre époque.

Image en une: Evo Morales inaugure en juillet 2014 un nouvel établissement pour les hydrocarbures. Source: Univision


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