Petite géographie du blasphème


Insulter Dieu peut s’avérer dangereux, mortel même. L’actualité récente l’a prouvé, avec des épisodes sanglants et des menaces en rafales, sans oublier les multiples faits divers liés à telle exposition détruite par des fanatiques ou encore des manifestations contre des caricatures jugées blasphématoires.

Mais qu’est-ce qu’un blasphème? Cette notion est-elle partout la même? Une carte proposée en début d’année par l’AFP  suite aux attentats de Paris permet de situer le débat:

Les lois sur le blasphème dans le monde. Source: AFP
Les lois sur le blasphème dans le monde. Source: AFP

Un certain nombre de pays n’ont aucune législation contre le blasphème, et non des moindres: les USA, l’Argentine, pourtant des pays très « croyants » ne pénalisent pas le blasphème. Une bonne partie de l’Afrique, y compris la Libye, puis certains pays d’Asie centrale, la Chine, le Japon et l’Australie. Pour eux donc, la religion peut être brocardée, cela n’est pas affaire de justice. Mais après, commence la « diffamation des religions ». On peut y inclure l’antisémitisme. Les pays qui défendent cette position sont la Russie, la France, le Canada, le Brésil et  l’Afrique du Sud. Beaucoup de pays d’Europe ont cette position. L’Inde en fait partie. Les motivations ne sont pas les mêmes mais l’attitude est similaire. On ne peut pas dire n’importe quoi de la religion, la sienne ou celle des autres.

Un cran au-dessus, on trouve le crime de blasphème. Blasphème, c’est à dire: en grec, blapteïn, insulter, phêmi, dire. Une insulte diffamatoire. Dans le contexte grec, c’est « dire des paroles de mauvais augure ou qui ne doivent pas être prononcées pendant un sacrifice ». L’histoire insiste sur le fait que le blasphème n’est de fait applicable que dans le domaine religieux. C’est bien dans ce domaine que la loi intervient pour interdire ces « mauvaises paroles ». L’Italie fait partie de ce « groupe ». La présence du Vatican ne doit pas être étrangère à l’usage du mot blasphème dans l’arsenal juridique italien. Le mot lui-même est déjà comme un gros mot…

Troisième groupe, les pays qui prennent ensemble blasphème et diffamation. On y trouve l’Allemagne, pays où la religion est encore bien présente, malgré la sécularisation profonde de la société. La Pologne, le Danemark, l’Irlande en font également partie. Puis le Maroc, la Turquie, l’Algérie et l’Indonésie, pour les pays où l’islam est dominant. Sont-ce des pays qui ont une vision somme toute conservatrice de la religion? On peut se poser la question.

L’apostasie, c’est à dire l’abandon volontaire d’une religion (cf. le bas de la carte), n’est pas véritablement dans le sujet mais elle fait partie de l’ensemble tout de même. L’Irak la punit. Si la contrainte en religion peut apparaître comme un contre-sens (voir plus bas), cela ne semble pas en déranger certains.

Si l’on va directement au « pire », on trouve une série de pays dans lesquels toutes ces attitudes peuvent être punies de mort: ce sont des pays musulmans. Mauritanie pour le plus occidental, Malaisie pour le plus oriental. Et autour de l’Arabie Saoudite, une ceinture de pays qui pourchassent tout: blasphème, diffamation, apostasie (Soudan, Égypte, Iran, Pakistan). Les persécutions religieuses y sont fréquentes, et les minorités y ont la vie dure. Le blasphème se politise et prend des tours de complots délirants. Pensons aux légendes des hosties profanées par les Juifs qui déclenchaient de violentes pogroms durant tout le Moyen Âge…

Pourtant, comme le rappelait il y a peu Abdennour Bidar, l’islam proclame par son prophète: « Il n’y a pas de contrainte en religion » (La ikraha fi Dîn). C’est clair. Mais cela ne semble pas l’être pour tout le monde. Subir la contradiction sans vouloir la réduire ni la détruire: ce serait un programme de sagesse politique et sociale, mais nous en sommes encore loin, tant la vision du religieux est happée par la suprématie du politique. Une certaine forme de cynisme finalement qui fait le lit de tous les fanatismes.

Et pourtant, laisser dire relève plus de la force que de la faiblesse. Il faut être bien faible pour pourchasser ainsi ceux que l’on considérerait comme des ennemis de la foi. C’est cette crainte presque puérile d’être confronté à ce qui remet en cause ses propres convictions. Détruire la contradiction, c’est alors se prendre pour Dieu. Ce qui est certainement le comble du blasphème!


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