Jean-Robert Pitte, joyeux enfant de la Bourgogne

Malain, et son horst en Bourgogne

Qu’est-ce qu’une région ? Non pas pour un président de la République qui joue au poker politique menteur avec les territoires, qui les tripatouille pour sa ratatouille politicienne. Mais pour un géographe. L’époque où les statistiques fichaient les régions en colonnes pour en comparer leur production industrielle semble loin. Même Emmanuel Todd va chercher dans les cimetières de quoi reconstituer leurs croyances religieuses. Au risque de mettre en rogne Béatrice Giblin.

La Bourgogne, de l'histoire plus que de la géographie
La Bourgogne, de l’histoire plus que de la géographie

Pour Jean Bruhnes, un territoire, c’est d’abord quelque chose de comestible. La Bourgogne du très parisien Jean-Robert Pitte – qui s’y établit jadis quelques années –  est une longue table tranquille de recettes, de repas, de grands vins et de coudes haut levés à la gloire des hommes sensibles vivant sur ce quadrilatère malmené comme on n’a pas idée par la géographie physique. La Bourgogne, ce n’est que de l’histoire, une gloire passée collant à des contrées entre Lyonnais et Bassin parisien, entre Saône et Lorraine, donnant une géographie de bric et de broc qui ne tient qu’à une toponymie venue de… la Baltique, foyer d’origine des Burgondes. Vaillants contre Attila qu’ils terrassent aux Champs catalauniques en 451, ces émigrés du Nord adoptent la romanité, jouent au mécano politique lors du fameux partage de Verdun en 843 à la mort de Charlemagne conduisant à un prestigieux duché contraint à l’alliance territoriale avec les rois francs. Écartelée par la Révolution qui la détestait par la trame départementale et la coupe en quatre, la Bourgogne est un territoire sans aucune autre unité que celle du sang alimenté par des vins capiteux. Le fait qu’on puisse être « fier-er d’être Bourguignon » et le crier à tue-tête au monde entier montre la capacité du vin à fabriquer une identité.

Le mythique domaine de la Romanée Conti
Le mythique domaine de la Romanée Conti

Dans la déclaration d’« amour » que Jean-Robert Pitte offre à la Bourgogne qu’il n’a habité que quelques années, la gastronomie est le principal refrain. Le moindre toponyme y est décortiqué dans la casserole et sur la table. Pour n’avoir pas de vignes, les Bressans-ventres jaunes paient cher cette tare ajoutée au maïs, vilaine céréale tout juste bonne à engraisser  les chapons. A tout seigneur tout honneur, dans cette Bourgogne toute en bouche, la Romanée Conti coule sur vingt pages d’une délectable déclaration passionnée, où toutes les occasions d’avoir eu accès à ce nectar ont été déclinées. Prenez la valeureuse lettre « V » : Vosne-Romanée, Volnay, clos Vougeot, c’est la même chanson géographique du vin des Henri Jayer, Bernard Ginestet, Mongeard-Mugneret et milliers des propriétaires, vignerons ou écrivains et bons vivants qui transmettent cette culture originale d’un attachement immodéré au couple pinot /chardonnay ayant fait la gloire de ces terres ingrates.

En guerre et contre tous ?

Le caractère aléatoire de l’alphabet nous ramène à d’autres gourmandises comme le jambon persillé, l’escargot, le cassis, l’époisses, le pain d’épices, les œufs en meurette, la moutarde qui complètent la table joyeuse des Bourguignons. Deux gros bourgs situés sur la RN6, Saulieu et Chagny, anoblissent cette fonction par des restaurants que les touristes chics et fortunés ont garnis de leurs trois étoiles en venant de Paris en direction la côte d’Azur. L’architecture est un autre marqueur avec les cisterciens à Fontenay, les pèlerins à Vézelay ou à Montréal, les tuiles vernissées à de Tonnerre à Tournus, en passant par Dijon et Beaune. On est étonné par le peu d’inspiration que la région a donné à ceux qui la représentent à l’extérieur : Vivant Denon, Kir, Buffon, Bossuet, Lamartine, Vauban. Il n’y a guère que le bouillonnant saint Bernard et Jean-Philippe Rameau qui portent haut les couleurs d’un terroir plus agricole que savant. Qu’on songe à la petite Comté voisine, franche du relief avec son escalier parfait vers la Suisse, avec Pasteur, Proudhon, Courbet, Hugo, Cuvier, Ebelmen, les frères Lumière… Foin de ces vanités ! Comme toutes les régions, la Bourgogne se doit d’exister dans le miroir des autres dont la honnie région bordelaise qui le lui rend bien : un célèbre médecin de Dijon ne soignait-il pas la grippe des magistrats de la ville et des moines de Cîteaux avec un bifteck de cheval arrosé de bordeaux, y compris en plein carême ?

Comblanchien (Côte d'or)
Comblanchien (Côte d’or)

Physique

En bon géographe, Jean-Robert Pitte raconte par quelle lorgnette les spécialistes ont longtemps ausculté la Bourgogne. La faille de la Saône est le lieu miraculeux du vin. Tous ceux qui ont eu à plancher sur les patchworks géologiques de la feuille de Beaune exulteront à l’idée de revoir Comblanchien, son calcaire, et le relief inversé de Mâlain (photo en haut de l’article). Sur le plateau de Langres, les sources sont maigrichonnes. C’est grâce à l’ombrageuse Yonne déboulant du Morvan jadis fauteuse de crues dans la capitale que la région se rappelle au bon souvenir de Paris puisant aussi une part de son eau potable dans une forêt d’Othe tronçonnée par le TGV.

Shi Yi, 28 ans, vient d'acquérir deux hectares de vignes à Nuits-Saint-Georges et Vosne-Romanée
Shi Yi, 28 ans, vient d’acquérir (2014) deux hectares de vignes à Nuits-Saint-Georges et Vosne-Romanée

La perle physique du livre, on la trouve dans un article consacré à la lettre « r » qui porte notre auteur du ciel. Et le rapproche de l’empereur du Japon dégustant une soupe de nouilles avec le même roulement labial. Sur la quatrième de couverture, Jean-Robert Pitte prévient  que « Dionysos est né deux fois : moi aussi, et ma cuisse de Zeus s’appelle la Bourgogne », aimable pont avec cette lointaine Asie où la réincarnation tient lieu de promesse après la mort. Quel meilleur sort pour cette petite région qui vient de se marier avec la Franche-Comté et dont le génie viticole ensorcelle les Chinois lorgnant sur ses terroirs ? Gare à cette conquête venue d’ailleurs qui pourrait faire ravaler aux Bourguignons leur inextinguible fierté.

 

Dictionnaire amoureux de la Bourgogne, Jean-Robert Pitte, Plon, 2015

Geographica a déjà publié un article sur un livre de géohistoire des bouteilles de vin de J.-R. Pitte

 

 

 


Une réponse à “Jean-Robert Pitte, joyeux enfant de la Bourgogne”

  1. Ma famille paternelle choisit la région de Dijon dans les années 20, après les aléas de l’Histoire, jusqu’à la lutte de Belfort contre les Prussiens, ô combien héroïque et désespérée, et s’installa à Is-sur-Tille. Mon arrière grand-père s’y adonna à l’apiculture, la crise tardive des années trente en France ayant laminé les classes moyennes aisées et industrieuses voire de la petite industrie.

    Un enfant illustre lui, de Bourgogne du Nord: Pierre Larousse, gloire de Toucy dont Pitte ne fait, je crois, pas mention. Mes parents avaient acheté une petite maison non loin de Toucy, dans le jovinien, près d’Aillant et mon père se passionnait pour l’archéologie gallo-romaine et médiévale, les vestiges y sont abondants, Guédelon en est un exemple exceptionnel.

    Joigny, La Roche-Migennes, hauts lieux de la Résistance et de la culture ferroviaire, ont été happés par la crise et la désindustrialisation: fermeture des ateliers des équipementiers automobiles, de nombreuses compagnies de transport routier, c’est à pleurer quand on se promène dans Joigny qui fut, il n’y a pas si longtemps, prospère et active.
    La Puisaye sort un peu son épingle du jeu avec Toucy, repaire de bobos du X° arrt de Paris, avec la ville natale de Colette, St-Sauveur-en-Puisaye, mais la situation y est aussi inquiétante avec, déjà ancienne, la disparition des moyens de transport. Ce n’est pas un banquier ministre de l’Economie et ses autocars, qui va changer la donne…

    Et la Bourgogne rivale du royaume de France et bien plus riche que ce dernier, cet esprit frondeur de Charles-le-Téméraire, silence radio?

    Ceci dit, un bon vin d’Irancy, croyez-moi, ça mérite le détour, bien plus qu’un Chablis si galvaudé… Moi c’est Bourgogne, bien loin devant la Touraine (vins de femmes?) et Bordeaux.

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