Les cartes-portulans à la BNF


La Bibliothèque Nationale de France proposait jusqu’au 27 janvier 2013 une magnifique exposition sur les cartes marines. C’était l’occasion de découvrir un patrimoine cartographique tout à fait exceptionnel car les collections de la BNF sont parmi les plus riches du monde.
Nous avons pu rencontrer Jean-Yves Sarazin, directeur du département des Cartes et Plans à la bibliothèque Nationale de France et lui poser quelques questions autour de l’exposition sur les cartes marines.

Geographica : Pourquoi une exposition sur les cartes marines?
La bibliothèque nationale de France conserve la plus importante collection au monde de cartes marines, encore appelées cartes portulans, élaborées entre le XIIIe et le XVIIIe siècle. Il était naturel qu’elle conçoive et produise une exposition de grande ampleur, en quelque sorte rétrospective, sur ce genre cartographique.

Mais cette exposition s’inscrit également dans la dynamique de deux programmes de recherche qui permettent de renouveler la vision que l’on peut avoir des cartes portulans et surtout de leur place dans l’histoire culturelle et scientifique du Moyen Âge et de l’époque moderne. D’une part, la Bibliothèque nationale de France finance depuis 2010 un vaste programme de recherches triennal sur ce type de représentations du Monde et a confié le soin à l’équipe scientifique du département des Cartes et plans de le mener à bien. Il s’agit de recenser à la BNF, à Paris et en régions, l’ensemble des cartes-portulans parvenues jusqu’à nous, de les décrire, de les indexer dans le Catalogue général de la BNF. En parallèle, l’établissement a lancé le premier programme de numérisation concertée d’envergure nationale qui à terme permettra de donner accès à des images numériques des pièces dans ou grâce à sa Bibliothèque numérique Gallica. D’autre part, le département des Cartes et Plans est depuis 2009, l’un des quatre partenaires d’un programme de recherches de l’Agence nationale de la recherche intitulé MeDIan et qui s’est fixé pour étude une meilleure connaissance des rapports entre les sociétés méditerranéennes et celles du pourtour de l’océan Indien (http://median.hypotheses.org/). Il accueille parmi son personnel scientifique, Emmanuelle Vagnon, docteur ès lettres, chercheur au CNRS, membre de MeDIan, et qui co-dirige avec Catherine Hofmann le livre-catalogue de l’exposition « L’âge d’or des cartes marines quand l’Europe découvrait le monde ». Ce programme permet de réinscrire les cartes portulans dans l’ensemble des sources historiques.

Comment avez-vous choisi les pièces exposées?

Avec plus de cinq cents cartes marines au sein de la BnF, les possibilités de choix sont larges et aboutissent finalement à une présentation globale de ce type de représentation cartographique. Tous les styles de cartes marines sont présentés, tous les centres de production sont représentés, toutes les évolutions sont perceptibles : cartes ou recueil de cartes, atlas ou planisphères nautiques produites à Majorque, Gênes, Venise, Lisbonne, Séville, Marseille, Messine, au Havre, à Dieppe, Amsterdam, Londres, Batavia (Jakarta).

L’exposition compte 207 pièces majeures, dont quatre-vingts cartes portulans, mais aussi des globes, des instruments astronomiques, des objets d’art et d’ethnographie, des animaux naturalisés, des dessins, des estampes et des manuscrits sont présentés dans les quatre parties de l’exposition. Elles sont issues des collections de la BnF ou prêtées exceptionnellement par le musée du Quai Branly, le musée Guimet, le musée du Louvre, les Arts et métiers, le Service historique de la Défense, la British Library, le Mobilier national ou le musée de la Marine. Ensemble, ils permettent de comprendre les différentes dimensions de la carte : son usage en mer, sa fonction d’études, de collections, son sens politique, économique, artistique.

Que faut-il retenir selon vous de cette période de la cartographie ?

Nous sommes en présence d’un type très original de représentation de l’espace. Les cartes marines sont le fruit des allers et retours permanent entre terrain et ateliers de cartographes situés dans les principaux ports de l’Europe occidentale. A leur sujet on parle de science des navigateurs, mais elles ont été dessinées par des hommes habiles en matière de géométrie, d’astronomie et de géographie qui ne montaient pratiquement jamais sur des navires à l’exception des auteurs normands du XVIe siècle. On retiendra que trois années de recherche n’ont pas suffit pour percer le mystère de la genèse des cartes marines au XIIIe siècle. Tout juste sommes-nous en mesure d’affirmer qu’il se produit, au milieu, ou bien à la fin du premier tiers du XIIIe siècle, une révolution mentale qui donne naissance et une nouvelle légitimité aux images quand précédemment le texte dominait. Mais il reste encore des points fondamentaux à établir : naissance, diffusion, usage, partition entre carte pour servir en mer et carte pour représenter un espace maritime et terrestre.

En quoi cela concerne-t-il la géographie actuelle?

Géographie savante ou moderne et cartes anciennes cohabitent. L’on doit au premier directeur du département des cartes et plans, qui l’a fondé et qui a fait partie des fondateurs de la Société de géographie, Edme-François Jomard (1777-1862) d’avoir consacré autant d’énergie à promouvoir les sciences géographiques de son époque qu’à enrichir la nouvelle collection nationale des « monuments de la géographie ancienne ». Cette capacité à tout embrasser donna naissance à une première école d’historiens de la cartographie qui côtoyaient les grands géographes de l’ère moderne. Ses efforts sont récompensés. Il est permis aujourd’hui aux chercheurs qui fréquentent la salle de lecture du département des Cartes et Plans de la BnF d’accéder pour toutes les régions terrestres et maritimes du globe à une profondeur historique rarement possible ailleurs. Cela constitue un patrimoine vivant pour la géographie savante comme pour tous les amateurs de géographie.

Propos recueillis par Brice Gruet

L’exposition virtuelle

Un article du même auteur sur le site de Libération à propos de l’exposition

Publié le 6 décembre 2012


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