L’égalité territoriale ou le refus du désert


L’obsession égalitaire des Français qui ont coupé la tête au roi en 1793 après avoir renversé la monarchie absolue est-elle une exception en Europe et dans le monde ? Pas sûr si l’on compare ce qui se passe chez les voisins, la Suisse et ses cantons, l’Allemagne et ses Länder, l’Espagne et ses provinces, etc. Mais son histoire est originale. Le géographe Philippe Estèbe fait remonter ce principe à la fin du XIXe siècle, lorsque la France était déjà un pays peu peuplé par rapport à ses voisins et avec une population plutôt éparpillée. Pour lui, l’égalité entre les territoires, c’est le « droit de » et le « droit à » qui se pratique par la redistribution par l’Etat central.

La loi municipale de 1884 donne au moindre village le bénéfice d’une « clause de compétence générale », le maire considéré « comme le président de ce bout de république » (1). C’est de là qu’on voit apparaître les écoles, gendarmeries, perceptions, tribunaux, hôpitaux… La distribution d’électricité, les services de la poste, les transports ferroviaires, tout cela est confié à des monopoles publics qui pratiquent les mêmes conditions tarifaires pour tout le monde. Ce qu’on appelle les transferts invisibles auxquels s’ajoutent les dotations de l’Etat. Philippe Estèbe y voit un « quadrillage unique au monde » qui constituerait un atout touristique.

Estèbe couvertureDans les Trente Glorieuses, la spécialisation économique territoriale à la mode partout en Europe, y compris dans sa version communiste du Comecon, engendre une forme d’égalité des places qui s’ajoute à celle des droits. La géographie entre en scène. Elle n’aura de cesse de s’amplifier avec l’action de la Datar et des politiques publiques accentuant le droit au développement généralisé passant par les « projets territoriaux » financés depuis Paris. On atteint alors le nirvana de l’égalité des chances. Illusoire, bien sûr.

Car, depuis vingt ans, l’Etat s’est appauvri, la redistribution est peu à peu abandonnée. Philippe Estèbe pense qu’il faut changer de paradigme. Car les fonctionnaires d’Etat se retirent de certains territoires. Les grandes métropoles, renforcées par le TGV et légitimées par la nouvelle carte régionale de 2015, prennent le relais. Enfin, la baisse des dotations de l’Etat laisse les régions démunies sur le bas-côté. La « solidarité verticale » a disparu, place à la « solidarité horizontale » des intercommunalités.

La métropolisation va pousser à l’intercommunalité. Les préférences collectives sont discutées à l’échelon régional. Les services sont redistribués, les préférences collectives discutées, les nouveaux échanges et les formes de réciprocité dessinent des pratiques qui évoluent pour faire face aux questions posées par cette obsessionnelle question nationale. Que l’auteur aimerait voir transformée en « égalité des situations » mettant en avant les individus avec les territoires eux-mêmes. Une nouvelle géopolitique de la France est en train d’émerger.

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L’égalité des territoires, une passion française, PUF, 88 p., 11 €

(1) Transrural, n°447, p. 20.

Ci-dessus : le déménagement du tribunal de Morlaix

 


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