Les frontières comme un « bien commun » ?


Frontière GazaLe marronnier géographique des frontières n’est pas une distraction pour tout le monde. Pendant que les pays riches jouent à saute-frontières pour y chercher le divertissement pascalien du tourisme, les pays pauvres s’y risquent jusqu’à la mort. La même mer Méditerranée ouverte au nord est fermée au sud. Un mur visible et invisible fatal pour des milliers de personnes…

Frontière livreLe passionnant petit livre Qu’est-ce qu’une frontière aujourd’hui ? (PUF, 2015) d’Anne-Laure Amilhat-Szary permet de comprendre, pour elle, que les frontières sont les lieux où l’homme admet de perdre son humanité. Même si les frontières ne sont pas toujours des lieux d’affrontements, voire plutôt des lieux où se fécondent les différences, comme dans les zones économiques internationales (en France, en Lorraine, Alsace, Franche-Comté…). Y rencontrer l’Autre, c’est œuvrer pour un nouveau lien social, une autre aventure économique.

Frontières (sans)Des frontières invisibles ou immatérielles peuvent créer, filtrer les passagers, trier, séparer comme unir. Lieux de mobilité qui s’ouvrent et se ferment à la fois, les frontières visibles ou invisibles séparent, mais constituent une ressource. Pour tous les types d’échanges, qu’ils soient sociaux, commerciaux, linguistiques…

L’auteure défend l’idée que les frontières sont « individualisées ». Signifiant par là que nous ne sommes pas tous égaux devant elles. Fermeture pour le Sud, ouverture pour le Nord, elles sont la « condition antidémocratique de la démocratie ». Du coup, peut-on les concevoir comme un « bien commun » à l’échelle du monde ? Un sacré défi pour le monde qui advient.

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Catherine Calvet, dans Libération, pose deux questions essentielles :

L’autre thème abordé dans votre livre est la divergence grandissante entre le tracé de la frontière et la communauté de vécu…

La frontière pose la question de ce que nous faisons ensemble, de pourquoi nous appartenons au même ensemble géographique. C’est une question que l’on se pose un peu plus en France depuis le mois de janvier. Les circulations sont aussi plus nombreuses, ceux qui viennent d’ailleurs nous forcent à nous interroger sur l’extérieur mais aussi sur notre univers national. Les Etats-Unis viennent de créer un nouveau système de carte verte en accéléré pour ceux qui ont au moins 500 000 euros sur leur compte : ils instaurent donc une circulation à deux vitesses et la citoyenneté avec.

Avant on ne faisait que traverser les frontières, aujourd’hui ce sont les frontières qui nous traversent. Chacun, nous dépendons de multiples appartenances culturelles, religieuses, linguistiques… Avec lesquelles nous devons recomposer perpétuellement. Nous sommes traversés de contradictions qui avaient été mises en sourdine à l’intérieur des Etats-nations. Qu’est-ce qui fait citoyenneté ? Le temps de résidence devrait être déterminant.

Un droit du sol augmenté ?

Dans un tel contexte de mobilité, où les plus dotés circulent en fonction de leurs intérêts, souvent munis de plusieurs passeports, qu’est-ce qui peut continuer de faire commun territorialement et qu’est-ce qui fait politique ? Qu’est-ce qui continue à faire tenir ensemble la nation ? Ces questions font boomerang sur fond de crise économique… Le droit du sol doit s’adapter à l’accroissement des mobilités, légales dans leur immense majorité, rappelons-le. Cela permettrait aux personnes qui vivent sur un territoire de s’y projeter pour contribuer à le construire, plutôt que d’être confrontées à une éternelle mise à distance, c’est-à-dire à un maintien constant derrière une frontière invisible. Des collègues définissaient la frontière comme le lieu qui met de la distance dans la proximité. Cela permet de se définir, il n’est pas question de supprimer les frontières, mais de se demander à quoi elles servent, sachant qu’au XXIe siècle leur statut doit être complètement repensé.


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