Les « stepwells » ou le développement durable à l’indienne


L’inde est à l’honneur en tant que « puissance émergente » et, à ce titre, on écrit beaucoup sur les contrastes et tiraillements entre ses traditions multimillénaires et sa modernisation à marche forcée. Mais le monde indien est avant tout une aire culturelle d’une richesse historique, comme le prouvent ces « stepwells« , littéralement ces puits à escaliers, qui ont été construits par milliers entre les IIe et XVIe siècles de l’ère chrétienne. Selon les régions, on les nomme bâoli (hindi), ou vaav (gujarati). Ces puits géants ont été construits pour répondre aux besoins en eau de populations déjà nombreuses, vivants dans un environnement où les ressources en eau, et surtout leur gestion, étaient problématiques. Les eaux de mousson pouvaient vite disparaître dans les profondeurs du sol. Ces puits, monumentaux, allaient chercher l’eau dans ces profondeurs.

Cela a donné lieu à des constructions enterrées d’une grande virtuosité architecturale, qui ont traversé les siècles et les styles: le passage de certaines régions de l’Inde sous domination musulmane a seulement entraîné un changement de style, mais pas de principe. A noter qu’une part non négligeable des commanditaires étaient des femmes, le transport de l’eau étant une tâche habituellement dévolue aux femmes.

Les aspects religieux et symboliques de ces temples de l’eau sont très présents et le plan en coupe de ces structures fait penser à une pyramide inversée, creusée dans le sol, comme dans le cas d’Abhaneri:

Ces puits ont connu une lente décadence à partir de l’époque coloniale car les occupants britanniques ont interdit l’accès à ces puits pour des raisons d’hygiène. Il est plus probable (mais des recherches historiques seraient à mener en ce sens) que ce sont les compagnies de distribution d’eau qui ont fait pression, ici comme ailleurs (notamment en Italie) pour faire abandonner un système d’approvisionnement en eau gratuit et collectif au profit d’un accès payant et privé… Les puits sont peu à peu devenus des dépotoirs, voire des égouts. La plupart ont simplement été abandonnés, ou ont continué à être utilisés comme temples.

Le mauvais entretien, voire l’abandon, ont donc laissé glisser peu à peu dans l’oubli ces constructions, qui ont tout de même réussi à nous parvenir. Mais elles sont encore largement inconnues, ignorées des touristes et des habitants. C’est la photographe Victoria Lautman qui a photographié et faire connaître ces chefs d’oeuvre réellement en péril.

A l’heure où l’approvisionnement en eau devient un vrai problème en Inde, les autorités reconsidèrent cet héritage et imaginent même remettre en état ces puits réservoirs, dont le niveau variait en fonction de l’alimentation en eau, tant par les pluies que la nappe phréatique. Ce serait un exemple de ce « développement durable » que l’on n’imagine souvent qu’à travers des innovations coûteuses et très complexes techniquement. Ces réservoirs ont fonctionné pendant un bon millénaire. Pourquoi les laisser disparaître ? Au-delà de leur intérêt patrimonial, ils pourraient réellement apporter leur aide au problème de l’eau en Inde. Mais il faut pour cela qu’une véritable prise de conscience survienne au sein des populations.


6 réponses à “Les « stepwells » ou le développement durable à l’indienne”

  1. Bonjours Monsieur Brice Gruet,
    Pour une pluie de puits.
    Même si l’on peut restés très dubitatif sur le caractère louable des constructions ancestrales « pharaoniques », qui ont probablement nécessité lors de leur construction, l’utilisation d’une main d’œuvre le plus souvent apparentée à une forme d’esclavage, force est de reconnaitre que les « donneurs d’ordre » à ces périodes de l’histoire, ont fait preuve d’une vision fort efficace de la gestion de leurs problèmes. Mais si ces puits ont probablement suffit à abreuver une population dont on ne connait pas, de manière fiable, le nombre de 1500 à 1600, ils ne seront, en les réutilisant aujourd’hui, à coup sûr, que « goutte d’eau » relativement au Milliard deux cent millions d’individus qui aujourd’hui, malgré le « cher et généreux apport des compagnies embouteilleuse d’eau », souffrent de plus en plus du manque d’eau potable en Inde. Nous pouvons regretter, que, pour l’humanité habituée à s’en satisfaire, l’utilisation des recettes du passé, n’aient vraiment aucune chance de porter solution aux problèmes liés à la démographie actuelle. Il est tout de même peu probable, que le recours aux puits, au moulin à eau, voir à l’utilisation du cheval, permettent durablement à l’humanité de poursuivre sa croissance effrénée. Je crois que si nous devons effectivement opter pour un développement durable, le recours à des « innovations coûteuses et très complexes techniquement » demeure la seule issue, à condition évidemment que nous nous hâtons d’y consentir pendant qu’ il nous reste un peu de pétrole à brûler et d’oxygène à respirer. Tout en appréciant cette impressionnante et originale découverte, je me garderai personnellement de tirer du passé un quelconque remède pour l’avenir, me contenterai des leçons qu’il nous donne, et notamment des conclusions Darwiniennes en matière de survie des espèces, et en l’occurrence de la notre.
    Et puis, pour les puits de géographie,…merci tout de même de ce petit voyage aux indes.
    Bien cordialement
    Pierre chabat

    • « Pendant qu’ il nous reste un peu de pétrole à brûler et d’oxygène à respirer » écrivez-vous… C’est assez curieux : brûlons, continuons nos croissances « effrénées » comme vous le dites, et vogue la galère pour les générations suivantes qui se débrouilleront. C’est une vision assez cynique des choses « durables ». Cordialement.

      • L’expression de ma pensée semble susciter pour celui qui me lit, l’inverse de ce qu’elle voudrait exprimer. Ce qui pour moi revêt un caractère cynique est le comportement de l’homme qui inlassablement a exploité toutes les ressources de la planète jusqu’à les épuiser, faisant fi de sa conservation, et du dramatique héritage qu’il laisserait à ses descendances. Puisque c’est ce comportement qui est évident, ce qui nous empêche d’imaginer l’avenir de l’Humanité en phase de croissance démographique effrénée, alors oui c’est bien cela qu’il faut changer. Et pour que la galère cesse de voguer, il est pour moi indispensable que nous utilisions les maigres ressources qu’il nous reste pour innover et donner aux 12, 15,… 32 milliards d’individus qui nous suivront la possibilité d’exister différemment. Si l’article de Brice Gruet m’inspirait ce petit commentaire, ce n’était nullement pour dénaturer son propos, ou ne pas respecter la qualité de l’ouvrage, mais pou porter un peu contradiction à l’éloge de nos ancêtres. C’est bien un refus de l’héritage du grand carnage que nous sommes en train de poursuivre que j’exprime et je m’étonne un peu que votre reformulation comporte exactement le contraire. Je préfèrerai, pour qu’ils deviennent durables, que nos échanges demeurent dans une perspective plus constructive qu’acerbe.

      • Je comprends tout à fait votre remarque, ce qui nous impose aux uns et aux autres d’être clairs, d’écrire des propos qui ne dénaturent pas notre pensée, de veiller à ce que nos échanges apportent des compléments d’information utiles à nos lecteurs.

    • Cher Monsieur,
      merci pour votre commentaire. Ces puits n’ont pas été abandonnées parce qu’inefficaces, ou inadaptés, mais parce que l’administration coloniale anglaise en a interdit l’utilisation. L’argument démographique est intéressant, mais ce sont les gouttes d’eau qui font les océans… autrement dit, ce genre de système, régénéré, pourrait au moins partiellement apporter son aide au problème de l’approvisionnement en eau, en Inde et ailleurs: ces puits ne demandent aucune dépense en énergie!
      La gestion de l’eau est d’abord une question sociale, politique et économique avant d’être une question technique. Il est plus intéressant de faire payer l’eau que d’en assurer la distribution gratuite.
      Pour en revenir à la question démographique, il est intéressant de constater à quel point nous sommes incapables d’aller au-delà du « mur prévisionnel » du maximum démographique: après ce pic, où allons-nous? Certains démographes, minoritaires, évoquent un effondrement rapide de la population terrestre, du fait notamment de son vieillissement.
      D’autre part, la technique ne résout pas les problèmes techniques, elle ne fait que les rendre plus complexes et souvent incontrôlables. Mais l’utopie technicienne est si puissante que l’on ne peut pas frontalement la contredire.

      • Merci beaucoup de votre commentaire qui fait suite au miens concernant ces fameux puits indiens. Bien qu’ayant un peu tardé, il est cependant de nature à me réconcilier avec la fréquentation de votre blog, qui fut un peu entaché du dernier accueil qui m’avait été fait à ce sujet.
        Je comprends mieux l’aspect géographique de votre évocation et apprécis le sens porteur d’espoir que vous lui donnez, ce qui atténu l’impact désespérant que j’avais évoqué, mais qui reste néanmoins très préoccupant.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.