Beaujolais ou beaujol’pif ? Cruel dilemme…


Franck Pinay-Rabaroust, l’excellent rédacteur du site Atabula, s’est mis au beaujolais pour nous cette semaine sur son site. Commençant par une bonne nouvelle : il se boit deux fois moins de beaujolais nouveau aujourd’hui qu’il y a dix ans. Pourtant, les professionnels ne sont-ils pas déjà saoûls lorsqu’ils s’envolent dans la louange pour leur pinard 2015 : « Grandissime », « béni des Dieux » ?  Ces superlatifs ne font pas oublier la crise profonde que traverse leur vignoble… ni les attentats, se demande Franck. Voici l’essentiel de son analyse (mais allez faire un tour sur son site).

Carte beaujolaisGeorges Duboeuf, le roi des négociants dans la région, pensait que 2009 serait le millésime de sa vie. Mais 2015 sera encore meilleur, a-t-il récemment admis. « On a eu un printemps humide puis un ensoleillement historique en juillet dans le Rhône qui a été le département le plus chaud de France. C’est un millésime historique », surenchérit Jean Bourjade, délégué général de l’interprofession (Inter-Beaujolais).

Mais la qualité ne fait pas tout. Malgré un budget com’ multiplié par deux cette saison, les ventes s’annoncent tout juste stables – l’an dernier, 28 millions de bouteilles avaient été écoulées – et les viticulteurs ont vendu leur vin en vrac moins cher. Raison pour laquelle, fait rarissime dans le milieu, ils sont descendus fin septembre dans la rue pour réclamer une réévaluation des prix aux négociants, dans une région où 80% des volumes passent par le négoce. « Les gens aiment le goût du Beaujolais, ils n’aiment pas le nom », lance le Bourguignon Louis-Fabrice Latour, une des grandes maisons de négoce de vin en France, propriétaire dans le Beaujolais des crus Henry Fessy. « Il y a cette image qu’on se traîne », embraye Pierre Gernelle, directeur de la Fédération des négociants-éleveurs de Grande Bourgogne (FNEB).

Les ventes baissent dans les pays phares, Japon, États-Unis en tête, et les marchés émergents comme la Chine n’ont pas pris le relais. Passé de mode ? Mauvaise image ? Il se vend aujourd’hui deux fois moins de Beaujolais nouveau qu’il y a dix ans. Face à ce constat, tous n’ont pas la même analyse, ni les mêmes réponses, exacerbant les tensions entre vignerons et négociants et semant la zizanie dans les instances professionnelles. Déjà l’an dernier, les crus du nord de l’appellation, qui eux ont le vent en poupe, avaient divorcé des autres appellations. Depuis le dialogue est rompu.

Du coup, dans les vignes, un désespoir pointe, qui rappelle celui des éleveurs ailleurs. « La rentabilité, c’est une catastrophe. On fait 8.000 euros de chiffre d’affaires à l’hectare et quand on a payé les vendangeurs, les produits, il ne nous reste pas grand-chose », soupire Cyril Picard, figure de proue des manifestants fin septembre. Les vignerons sont âgés (50 ans en moyenne), les prix des terres particulièrement bas dans les parcelles de Beaujolais nouveau (11.000 euros en moyenne l’hectare), difficile dans ces conditions d’attirer des jeunes et d’envisager des lendemains qui chantent.

Alors que faire ? L’interprofession veut sortir le produit de son marketing uniformisé. Goût de banane, de tabac ? Elle refuse désormais de se prononcer et parle DES Beaujolais nouveaux et non plus DU Beaujolais nouveau. « On veut lui redonner une âme, c’est un vin de vignerons, on veut l’associer au terroir », explique Jean Bourjade.

Mais tous ne l’entendent pas de cette oreille. Cyril Picard « souhaite que les viticulteurs reprennent les choses en main à l’interprofession ». Les négociants eux sont divisés, entre ceux qui plaident pour un rapprochement avec la Bourgogne voisine pour redorer l’image du Beaujolais et ceux qui ne veulent pas en entendre parler. « Nous, on plante du Pinot noir (cépage star en Bourgogne, alors que le Gamay domine dans la région, ndlr) dans le sud Beaujolais. Donc on réfléchit à la reconversion. Et oui, il y a l’idée d’un rapprochement des deux interprofessions dans une Grande Bourgogne… mais les conditions ne sont pas réunies à l’heure actuelle », conclut Louis-Fabrice Latour.

Theize (Beaujolais) dans les Pierres Dorées, une beauté à couper le souffle
Theize (Beaujolais) dans les Pierres Dorées, une beauté à couper le souffle

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La revue Books en kiosque diffuse sur sa lettre cette ode au beaujolais. (Pour en savoir plus)

Le cadavre exquis boira le vin nouveau ». Cette phrase étrange provoqua des cris de joie chez André Breton, Jacques Prévert, Yves Tanguy et Marcel Duhamel réunis autour d’une table avec leurs compagnes, rappelle l’historienne de l’art Anne Egger dans Les Surréalistes.
Au cours de cette soirée de 1925, la petite assemblée vient d’inventer un nouveau jeu. On l’appellera d’abord « le billet russe ». Mais il est resté célèbre sous le nom de « cadavre exquis », en référence au premier résultat obtenu. Les règles sont simples : chacun inscrit sur un papier un morceau de phrase, le plie, puis le confie à son voisin afin qu’il rédige la suite sans avoir connaissance de ce qui précède. Ce jeu, les surréalistes en feront une activité poétique à part entière, capable de révéler tout le potentiel du hasard. Ces productions, selon Breton, « portent la marque de ce qui ne peut être engendré par un seul cerveau et […] elles sont douées du pouvoir de dérive […] Avec le cadavre exquis, on a disposé – enfin – d’un moyen infaillible de mettre l’esprit en vacances et de pleinement libérer l’activité métaphorique de l’esprit ».
L’esprit en vacances ? Pas si sûr, selon Jean-Louis Cornille, qui rappelle qu’après « Le cadavre exquis boira le vin nouveau », la deuxième phrase formée de la sorte fut « l’huître sénégalaise mangera le pain tricolore ». Avec le pain et le vin, le professeur de littérature est tenté de voir une référence à la liturgie, comme si les surréalistes ne pouvaient, malgré eux, que répéter un geste ancien. Rien ne dit, en revanche, si le vin nouveau qui les a inspirés était du beaujolais, dont le cru 2015 est aujourd’hui en vente.
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