Pourquoi les Le Pen font main basse sur la France rurale


Désolés et dégoûtés. Aussi incrédules que Louis XIV et son épouse royale Marie-Thérèse accouchant d’une métisse le 16 novembre 1664. Follement tétanisés à l’idée de perdre leur pouvoir. Tels sont les politiciens français qui prennent les Français pour des imbéciles (De Gaulle les traitait de veaux). Des politiciens qui s’activent pour éviter une raclée électorale.

Comment les Le Pen parviennent-elles à convaincre près de la moitié de la population de milliers de communes rurales à voter pour elles ? That is the question. Une question sur laquelle nos politiques sèchent. Car les statistiques sont aussi muettes que les carpes. Et les ficelles aussi grosses que les cordes avec lesquelles ils se pendent. Les ficelles ? Pour eux, ce serait le chômage, la pauvreté, parfois un catho comme Macron parle du mépris de la caste au pouvoir qui ne tend la sébille qu’au moment des élections et qui paraît tout autant méprisant que les autres. Ce serait les migrants qui feraient peur. Et quand les politiques tendent le micro-trottoir à la France rurale et écoutent tout au premier degré ? Une vieille mémé du Limousin dit qu’ »elle a peur » ? Alors, la peur est dans les campagnes. Tel ouvrier dit qu’un immigré lui a pris son boulot ? Alors, les immigrés posent problème. Telle étudiante ne trouve pas d’emploi ? Alors, c’est le chômage.

Ces imbécillités nées d’une sociologie de comptoir et d’une absence de culture anthropologique laissent pantois. Comment ne pas voir que le délabrement des campagnes où les Le Pen font un tabac est d’abord social et psychologique. Qu’il est le résultat d’un saccage des campagnes par ce qu’on a appelé avec abus de litote, la « modernisation ». Lisez « La fin du village » de Jean-Pierre Le Goff, Les « Paradis verts » de Jean-Didier Urbain. Ces anthropologues ont bien décrit le délitement des sociabilités jusqu’à fabriquer des méfiances maladives entre personnes ayant perdu les liens sociaux. Des liens sociaux, ordinaires et pas seulement les boulangeries ou ces mythiques bureaux de poste qui, eux, n’apportaient finalement pas grand chose. L’essentiel est ailleurs. Voici trois outils de délitement mais chacun pourra en rajouter d’autres.

Premier outil : la télévision. Formidable, disait-on. Avec elle, on se cultive. On se distrait. Les gens seuls ne s’emmerdent plus . Résultat ? Pour des millions de Français, la soirée de tous les jours commence par des jeux où l’on tire des chiffres et des lettres. Un peu de cerveau disponible ? Voici une galette de publicité. Puis, l’entreprise de crétinisation qu’est le journal télévisé déroulant accidents, meurtres, catastrophes en tous genres, viols, prison, incendies et inondations, meetings de la classe politique d’un niveau débilitant avec des petites phrases commentées jusqu’à l’overdose, de la com, de la com qui devient une vraie came. Le reste de la soirée ? Je vous laisse deviner. 365 journaux télévisés par an. Quel peuple résisterait à un tel tsunami d’images vulgaires, racoleuses, odieuses ? Et dire que les hommes politiques se battent pour venir au journal télévisé, y déverser leurs tonneaux d’âneries et se réjouir quand on leur dit qu’il a été suivi par 8 millions de Français ! « Suivi », ça veut dire quoi, les gars ? Qu’est-ce qu’il est resté de vos mensonges ? De vos lâchetés ? Monsieur Hollande et Madame Royal, quand vous vendez la COP21 à des Jurassiens qui se voient imposer un Center Parc où l’on va chauffer une bulle tropicale à 29° toute l’année pour y voir barboter des riches et des gamins de riches ? C’est quoi le message ? C’est quoi le résultat dans les urnes le lendemain ?

Deuxième outil : le supermarché. Ah, la belle affaire ! Le parking, le chariot, les rayonnages jusqu’à l’infini. La petite musique qui vient du plafond. La caisse. Le parking. Combien de ruraux font leurs courses sans parler à leur prochain ? Combien déambulent-ils des heures sans engager la moindre conversation ? Sans se demander si les tomates ne viennent pas d’une serre hollandaise, le poisson d’une ferme norvégienne où on les a gavés d’antibiotiques, le pain congelé pétri avec une farine raffinée sans apport nutritionnel, le fromage industriel, sans goût, le vin comme un concentré de pesticides ? Certes, Reflets de France se vante de vendre du terroir et y a  bien du miel de lavande (avec des abeilles ayant survécu au Roundup). Certes, encore, deux voisines se sont croisées avec leurs gamins (braillant devant les jouets) et ont échangé leur adresse Facebook. Mais quel est le bénéfice socio-psychologique de ce racket qui se termine par un chariot rempli au tiers de marchandises inutiles ? En rentrant à la maison, on rallumera la télé. Le gamin ira devant son écran. On trouvera que la vie est chère, que le compte bancaire est vide au 10 du mois. On vérifiera à la télé qu’en haut lieu, une pétroleuse des musées abuse du taxi, que Tapie se plaint d’être ruiné de chez ruiné depuis son hôtel particulier de la rue des Saints-Pères…

Troisième outil : la bagnole. Ah, il est beau le résultat d’une France étalée. Chacun rêve d’être dans sa cabane, niche et pelouse. Sans avoir pensé qu’il faut deux bagnoles dont l’essence hyper-sur-taxée va pomper la moitié du salaire. Le rêve se brise au bout d’une journée harassante qui a commencé avant le lever du jour et qui se termine la nuit déjà tombée. Quand on travaille dans un lieu éclairé au néon, c’est beau les saisons, non ? Prenez dans la boite aux lettres cette publicité jaunasse qui vous vante un séjour en Tunisie avec le Crédit Agricole. Faites-vous racketter en taxes d’aéroport, TGV pour prendre l’avion, en séjours bidons. Avec turista garantie. Oui, les villes, c’est dangereux, les terrasses de café, les salles de concert. Y a plein de migrants sur les trottoirs. Et les particules fines dans les poumons. Mais dans les cahutes rurales au milieu de champs où le vent rabat les nitrates jusque dans le potager ? Où les gens qui ne parlent plus à personne en veulent à tout le monde…

Ne déprimons pas. Il y a des villages qui voient la vie en rose avec le parti éponyme. Mais les Le Pen savent lire le désespoir qui suent de ces patelins où l’on ne croise jamais personne. A Vaud’herland (Val d’Oise) (photo), plus des deux tiers ont voté FN le 6 décembre 2015 ! Leurs arguments sont d’une simplicité limpide. L’Europe libérale, c’est trop pour eux. Le travail et le logement ne suivent pas. Mais surtout, c’est le vivre ensemble que les habitants ne savent pas formuler, qui a disparu. Tous les maires ne sont pas défaitistes. Tous les villages n’ont pas sombré. Des centaines de bourgs et de petites villes ont des équipes intelligentes qui ont compris qu’il faut reconstruire le lien social, renoncer aux commerces de périphérie, ranimer les centres. Mais combien sont conscients de cela ? Combien savent que le malheur des campagnes, c’est la solitude, l’isolement et le sentiment d’abandon.

Et comme des clones d’une Bardot des années 1960, les Le Pen titillent le sentiment de révolte, entretiennent ce feu qui couve chez tous les ruraux les plus paumés. Ajoutez une pincée d’anthropologie sociale, ce que Todd a écrit sur les systèmes familiaux qui donnent une foule d’explications. Un jour, dans 50 ou 100 ans, on fera le bilan de cette période d’enrichissement matériel (Trente Glorieuses), suivi par la paupérisation actuelle.  La télévision, le supermarché, la bagnole apparaitront comme des machines infernales qui ont fait déraper nos sociétés rurales vers la défiance et le déni. Mesdames Le Pen, continuez votre cinéma. On vous écoute sur les ruines d’une société décérébrée que vous avez beau jeu de vouloir sauver.

 


5 réponses à “Pourquoi les Le Pen font main basse sur la France rurale”

  1. Tout ce délitement a donc commencé pendant les 30 Glorieuses, au moment où la MSA mutualité sociale agricole a étendu sa toile,a appris aux femmes d’agriculteurs à créer des parterres de fleurs près de l’exploitation porcine.. Mais les ruraux n’étaient que peu tentés par le vote Fn, les Bretons en particulier y sont toujours réticents. Perte du lien isolement social certes, mais une certaine solidarité jouait encore. Les abattoirs bretons, à Quimperlé en particulier ont en partie fermé. Les conserveries aussi, les entrepreneurs innovants ont disparu..
    Le vote FN transfuge de l’électorat communiste , à la Seyne sur mer en particulier après la fermeture des Chantiers navals refaits à neuf et parmi les plus modernes au monde à la Ciotat, décidée en 1987 par ..Fabius qui verse une larme ce soir. Voilà la casse sociale, la pêche française sacrifiée par l’UE au profit de la pêche espagnole, les chantiers navals parmi les plus modernes du monde fermés, les milliards des plans de restructuration s’évaporant dans certaines poches. Tout ça est de l’histoire ancienne.
    Le parlementaire osant parler d’allergie administrative en ne payant pas ses impôts, les Tapie se plaignant après mis leurs avoirs à l’abri, et osant réclamer 1 milliard d’€ de dédommagement, pleurant sur leur sort après le carnage de Paris, sans vergogne, les Cahuzac,les Balkany , voilà ce qui explique l’exaspération, le dégoût envers les politiques et le train de vie des hauts fonctionnaires énarques ou X exploité par ce parti. Ceci illustre le torrent de nouvelles vulgaires, démoralisantes parmi les causes de désespoir, que vous énoncez à juste titre, la messe cathodique du JT bi-quotidien pour beaucoup.
    Hervé le Bras que vous ne citez jamais est, comme vous le savez, le spécialiste du vote FN et il affirme que l’emprise est moins forte que proclamé. Il insiste sur l’attachement à la famille élargie comme facteur protecteur et sur la qualité de vie offerte par certaines équipes municipales ou départementales. Ce qui apparait moins dans le Nord et en Provence Côte d’Azur qu’ailleurs.
    Le monde agricole est tout aussi disloqué que le monde ouvrier et bien des emplois en amont ou en aval du processus de production agricole sont précaires, fragmentés, répétitifs : emplois dans les abattoirs, les élevages en batterie, le ramassage des prunes à Lectoure,dantesque en août. Petits boulots,ubérisation de l’emploi agricole.
    Les maux que vous dénoncez, réels, sont anciens, les grandes surfaces sont apparues dans les années 70 (Rallye, Continent étaient les enseignes de l’époque). Le syndicalisme était encore très actif à l’époque, pas seulement agricole, le monde associatif aussi.
    C’est ce cadre qui a disparu, de même que les structures laïques ou catho/confessionnels pour les enfants et les ados, patronage, éclaireurs.Et la suppression du service militaire on n’a pas fini d’en gloser..
    La parole des partis droite/gauche est devenue inaudible,des économistes et historiens talentueux et iconoclastes comme Emmanuel Todd le proclament et insistent sur le danger de la trahison des leaders du PS (envers leurs électeurs) pour la démocratie. Les écologistes ont joué une farce grotesque et délétère et leurs scores sont pathétiques, alors que la conscience écologiste, participative ne cesse de progresser en France sous de multiples formes.
    Je préfère donc lire Pierre Rabhi extraordinaire messager et écouter 28mn avec Elisabeth Quin sur Arte plutôt que les journaux télévisés tradi, c’est clair.

  2. Oui, mais pas que…
    il y a 3 ruralités : celles des villages dortoirs, celle sous cloche grâce à son potentiel touristique, son agriculture à forte valeur ajoutée, à son climat et puis la dernière, loin de tout, sans avantage comparatif, condamnée à abriter la ferme des 1000 vaches ou à redevenir un espace naturel vide de population et qui vote FN avec une typologie socio-professionnelle et une pyramide des âges qui devrait la conduire à voter à 80% pour l’extrème droite et pas à 40%…
    Enfin le pb n’est pas la télé car quand on va travailler à 40 ou 60 kms, on n’a pas le temps de la regarder mais bien les réseaux sociaux qui font disparaître le bénévolat.
    cordialement
    Jean Vogel
    maire de Saâles, commune qui dispose de tous les services de proximité, d’un maire écolo, d’un adjoint au lien social et qui a voté à 42% FN au second tour.
    Le vrai problème, c’est le désespoir.
    03.88.97.70.26 ou 03.88.97.74.14

    • Arrêtons de faire de la sociologie ! Il n’y a pas trois ruralités, car AUCUNE ruralité ne ressemble à aucune autre et toutes sont vécues différemment à l’échelle individuelle et collective. Sans compter que des phénomènes de « mode » qui instillent des comportements par capillarité dans le corps social, donnant des conversations du genre : « Tu votes pour qui ? Pour le FN – Ah oui, pourquoi pas, tiens la Blonde, elle a l’air pas mal… » Combien de fois entendons-nous cela ?
      Non, les réseaux sociaux sont très peu utilisés par ceux qui vivent dans les campagnes isolées. Mais il est vrai que ces ruraux n’ont plus de vie sociale. Notamment ceux qui sont paysans, qui travaillent seuls sur leurs machines et se suicident en grand nombre (près de 250 par an en France !).
      Le bénévolat est une attitude née d’une conscience de l’altérité. Or, quelle conscience des autres ont des gens qui vivent en autarcie, chacun chez eux, sans avoir besoin de parler aux autres, si ce n’est pour se plaindre du chien qui jappe ou du barbecue qui fait de la fumée ?
      Il y a enfin, vous le soulignez, le piège du travail éloigné. Ce phénomène existe dans les villes mais les trajets collectifs développent des formes d’interaction qui n’existent pas chez ceux qui sont autonomes.

      • Ceux qui se plaignent du bruit des engins agricoles ou des chiens sont ceux qui vivent en milieu rural quasiment comme ils vivaient en ville ou en lotissement. Jusqu’à faire des procès pour le chant du coq, si ça existe encore. Quant aux réseaux sociaux, je suis de l’avis de Vogel, ils sont quand même pas mal utilisés en milieu rural et nuisent en effet à la solidarité.
        Etre jeune dans ces cantons, mot tombé en désuétude, c’est cumuler aussi les handicaps, et le FN le sait bien. Record de sièges dans les conseils régionaux, record de voix, et il y a encore des abrutis aux manettes pour se féliciter des résultats des régionales: cécité et abandon de pans entiers (éducation encore et toujours) de la société.

        Gilles KEPEL ce matin sur Inter était glaçant, perspicace, les lendemains seront terribles. Son livre « Passion française »/2014 annonçait ce qui s’est produit 2 fois en France cette année, et dont l’écho fait peur à la mémée dont vous parlez , surtout si un prêcheur salafiste est installé à proximité, en Lozère ou ailleurs.. On y trouve tous les marchandages à grand renfort de capitaux, des différents partis au pouvoir à Marseille et à Roubaix, régions symboliques, qui cumulent chômage des jeunes à un niveau insensé, spécificité française dans l’UE,(avec l’Italie la Grèce et l’Espagne), absence du père, très nombreuses familles monoparentales paupérisées,et installation de signes culturels forts. La sociologie ça aide! Ce n’est pas Samia Ghali qui dira le contraire. Et le vote FN dans les cités des quartiers Nord, ça existe.
        L’exemple, c’est démissionner du perchoir quand on a été battu à une élection, mais la soupe est bonne à l’hôtel de Lassay qui n’a rien à envier aux codes de l’Ancien régime au niveau du luxe et des privilèges, Fabius en a assez parlé: assez!
        ps/ A propos du suicide, quand on cessera de nous bassiner avec l’ex. finlandais d’éducation, pays de trois pelés et deux tondus qui a le record absolu de suicides de jeunes mais pas que, et d’alcoolisation de tous. Voilà je l’ai dit, je le pense depuis les années 2000 quand on a commencé avec PISA. Brighelli ne dit pas autre chose.

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