Le burkini, une innovation paradoxale


Dans le prolongement des attentats de Nice, le « burkini » on le sait a défrayé la chronique, engendré des anomalies juridiques variées et des prises de positions pas franchement nuancées sur un sujet de société qui prend des allures de polémique violente, voire de marqueur d’opinion.

En fait, le burkini est le résultat paradoxal d’une mondialisation qui crée des interférences culturelles aussi improbables que saugrenues. On le sait, le mot burkini est un mot-valise, constitué de deux autres mots, « burqa » et « bikini ». On le sait peut être moins, mais le bikini, maillot de bain deux pièces féminin, a été baptisé ainsi par allusion aux essais nucléaires américains dans l’atoll de Bikini, situé dans le Pacifique. C’était en 1946, la guerre froide s’annonçait, les Etats-Unis fourbissaient un arsenal de terreur d’un nouveau genre et l’expérimentait loin de ses côtes. C’est un Français qui est à l’origine de cette invention, il espérait que le succès de ce maillot serait « explosif ». A l’époque, cette nouveauté était perçue par beaucoup comme un scandale car elle révélait la nudité féminine. Or, on l’oublie un peu vite, le bain de mer en Europe a une histoire mouvementée.

Au tout début, au XIXe siècle donc, on avait imaginé de petites cabanes à roulettes ouvertes sur le fond pour que les femmes puissent aller faire trempette en bord de mer sans même être vues par quiconque. Cela aurait été parfaitement indécent. Ce n’est que très progressivement, que les corps se sont dénudés, puis exposés, voire exhibés. Les sociologues comme Jean-Claude Kaufmann ou les géographes comme Francine Barthe, ont bien étudié les processus longs et complexes qui ont abouti à la possibilité de la nudité dans l’espace public, et à son acceptation comme à son contrôle. Il y a donc bien des présupposés dans l’apparition du bikini. Au XIXe siècle, une femme « en cheveux » dans la rue, c’est-à-dire sans foulard ou chapeau était a priori considérée comme une prostituée. Les mentalités ont changé depuis.

Femmes dans la campagne pakistanaise. Source: Pashtun Voice
Femmes dans la campagne pakistanaise. Source: Pashtun Voice

Quant à la burqa, le choix du mot par la styliste libanaise Aheda Zanetti n’est pas très heureux, car il renvoie au vêtement qui symboliserait la plus forte discrimination infligée aux femmes. Ce vêtement afghan, qui est en fait contraire à la coutume islamique, (qui n’a jamais prôné de cacher intégralement le corps des femmes), est en fait lié aux cultures pachtounes pré-islamiques présentes entre Pakistan et Afghanistan. Cette sorte de sac muni d’une grille (pour y voir quand même un peu) n’est pas porté en permanence par les femmes, mais uniquement lorsqu’elles sortent du village-maison de la famille élargie pour aller dans l’espace extérieur.

Les débats sur le « voile islamique » éludent presque toujours les aspects symboliques du voilement et du dévoilement, comme si ces aspects n’avaient aucune importance, voire n’existaient pas. On insiste évidemment sur les aspects politiques, plus faciles à cerner. Mais couvrir ou découvrir le corps a des significations multiples, et si actuellement c’est un certain puritanisme musulman qui semble prévaloir dans le port du voile et du burkini, le sens de ces voile n’a pas toujours été tel. Les musulmans eux-mêmes semblent parfois l’oublier, au profit d’un littéralisme qui fait le jeu des islamistes.

Le burkini est donc bien un mot-valise au confluent de deux pratiques culturelles contradictoires: d’un côté la pratique de la plage, nouveauté radicale inventée en contexte chrétien en voie de sécularisation, en pleine période de découverte du corps, du soleil et d’un certain hédonisme en rupture avec toutes les époques précédentes. De l’autre, la conviction qu’une « bonne musulmane » ne doit pas montrer son corps dans l’espace public, alors même que le burkini montre les formes féminines et engendre un vêtement très étrange finalement. Jouir de la mer sans se montrer. On en revient au contexte, lui aussi très puritain de la naissance des plaisirs balnéaires tels que pratiqués au XIXe siècle.

Depuis, le culte des corps et le comportement implicite de respect des corps féminins a engendré un espace spécifique en bord de plage, soumis à des règles non dites. On ne peut pas être partout en bikini. Y voir à l’inverse des corps ostensiblement cachés, c’est, étrangement, cela qui choque. Renversement de situation.

Notre modernité tardive est ainsi riche en paradoxes et contradictions qui aiguisent les oppositions. Mais stigmatiser ces femmes, les humilier comme cela a été le cas trop souvent, c’est inadmissible, et c’est surtout faire preuve de peu d’intelligence de l’espace public, que ce soit à la plage ou ailleurs.

On pourra aussi retenir que le port de certains vêtements est lié à certains lieux, et que les deux vont ensemble. La géographie a donc son mot à dire des vêtements et de leur signification dans des espaces chargés eux-mêmes de sens.

En une: source l’Express

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