Sylvain Tesson est un être rare qui vit la main arrimée à un carnet. Il a un regard chafouin, amusé mais acerbe sur le monde. Ses livres en font une espèce unique au moment où ça pianote, tweete, facebooke à tout va.
Olivier Frébourg, le boss de ces magnifiques Éditions des Équateurs, a réussi l’exploit de mettre la main sur ces carnets tessoniens pour nous offrir cette « Géographie de l’instant« . Nous plongeons avec gourmandise dans ces feuillets qui font étincelle avec nos ruminations personnelles improductives.
Dans l’instant, Tesson s’étonne de tout et de rien. Mais en faisant valser ses idées devant un monde dont il est toujours ahuri, il donne des aphorismes qu’on n’est pas près d’oublier. Sur la France : « Être français, c’est vivre dans un paradis avec des gens qui se croient en enfer« . Ou encore : « Cocteau dans les Entretiens raconte que, pendant la Deuxième guerre mondiale, certaines vieilles Bretonnes, désespérées de l’occupation allemande, fleurissaient la statue de Jeanne d’Arc en implorant le retour de l’Anglais« . Attention, Tesson n’est pas le fils de Jules Renard et ses ciselures se méritent. Il faut travailler avec le compas de ce géographe non professionnel pour voir le monde autrement.
De quelle géographie s’agit-il ? Celle du tout et celle de ce qu’on appelle du « rien » qui est une manne chez Tesson. Soupirez-vous des turpitudes humaines ? Alors, passez-voir Tesson qui fit, sans doute à l’université, de la géomorphologie : « Le spectacle de ces montagnes tourmentées : cette manière du granit de dire au calcaire : j’étais là avant vous« . Ou un peu de biologie mâtinée d’histoire : « Le pesticide, ce cousin du cavalier mongol« .
On n’en citera pas plus. Tesson qui aime les mots sait qu’il est l’éponyme de ces poteries cuites qu’on traite pour leur donner tout leur éclat. Comme lui le fait pour la géographie.
S. Tesson, Géographie de l’instant, Éditions des Équateurs, 2012, 346 p. 19 €