Pour nous distraire des crises alimentaires européennes, je vous propose de se décentrer en visitant un peuple non européen : les Inuit. Mon amie Michèle Therrien, anthropologue, vient d’écrire un livre remarquable, dans la toute aussi remarquable collection « Guide des civilisations » (Belles lettres), et signe notamment un chapitre sur la santé des Inuit. Non pas qu’elle soit fameuse mais la santé nous donne à voir que la maladie est aussi une pensée. En écrivant cela, je pense aux médecins occidentaux, bien sûr.
« La maladie est au corps ce que la tempête est à l’échelle du cosmos ». La maladie arrive sournoisement comme la tempête survient à l’improviste, explique Michèle Therrien. La tempête, parce que la vitesse du vent augmente tout comme l’état du malade s’aggrave et que la douleur s’estompe comme le temps se calme.
Se soigner, c’est réparer son corps, le « remettre en ordre ». Selon Taamusi Qumaq, la maladie agit comme un voleur. Le retour à la santé est semblable à un bien volé rendu à son propriétaire. Ca ne vous rappelle rien de la sensation qu’on éprouve dans les crises alimentaires en Europe ? A l’instar du gibier qui échappe au chasseur, le corps peut survivre à la maladie. Une maladie grave est liée à une force extérieure (jalousie de l’entourage, par ex.), et nécessitait autrefois l’intervention du chamane. Voilà une médecine extrêmement complexe, avec une prise en considération de l’entourage, qui tient compte aussi de la tension entre intérieur et extérieur : la cure relie le malade aux forces sociocosmiques.
Dans cette ancienne médecine, les animaux étaient appelés à secourir le malade, car ils sont plus résistants que les humains. On transfert donc l’énergie. C’est une idée qui n’est pas abandonnée dans la crise que vit l’Arctique aujourd’hui.
Un livre passionnant qui nous ouvre à la pensée de ce peuple attachant, plein d’humour et d’une grande richesse.