L’épatant Philippe Sollers nous alerte qu’on ne parle pas assez de la géographie de Casanova et de Mozart. Ils se sont rencontrés plusieurs fois à Prague en septembre 1787 avec le librettiste de Wolfgang Amadeus, Da Ponte. Casanova et Mozart deviennent de vrais complices, à la villa Bertramka (aujourd’hui, musée Mozart). L’Italien qui a alors 62 ans va inspirer au jeune Mozart, 31 ans, l’air pour le catalogue de Don Giovanni et écrit même des feuillets du livret.
Casanova raconte ses soirées à Prague dans l’Histoire de ma vie : « Je suis allé à l’Opéra, et beaucoup de personnes voulaient me connaître. On me regardait comme un homme qui s’était défendu de la mort en lui lâchant un coup de pistolet. » Diantre ! Sollers préfère citer ce passage qui ferait frémir le plus raide des géographes devant le vin : « Cultiver les plaisirs de mes sens fut, dans toute ma vie, ma principale affaire ; je n’en ai jamais eu de plus importante. Me sentant né pour le sexe différent du mien, je l’ai toujours aimé, et je m’en suis fait aimer tant que j’ai pu. J’ai aussi aimé la bonne table avec transport, et passionnément tous les objets faits pour exciter la curiosité.» Ça, c’est Casanova. Et voici Mozart : « Vive les femmes, vive le bon vin, soutien et gloire de l’humanité !» Comme quoi le vin n’est pas seulement à boire, mais aussi à chanter.
Pas de trace de conversation qui aurait pu intéresser un géographe, en dehors de ces aveux pour alcooliques mondains ou disciples de Roger Dion. Ils ont au moins laissé de belles cartes de leur bougeotte, ces gyrovagues. L’historien Daniel Roche a décrit Casanova comme l’homme des routes de poste, drogué au jeu pour payer ses plaisirs, souvent très bien accueilli et vivant une vie de grand luxe dans des grandes villes où se brasse une faune cosmopolite de fortunés de haut vol. En voilà qui ont fait l’Europe avant l’heure et l’ont vécu jusque dans leur chair.