Après dix ans de rénovation, le Rijksmuseum d’Amsterdam a ouvert ses portes le 13 avril. Il était temps ! Sur le site internet du musée, on pouvait voir le décompte J-xx et découvrir peu à peu quelques nouvelles vues du musée. Pour cette journée de fête, ouverture non-stop et gratuite de 13h à 24h, le public était au rendez-vous, et les médias aussi… Comme l’annonçait l’affiche, « nos héros sont de retour »… Nos héros ? Rembrandt et sa Ronde de nuit, Vermeer et sa Laitière, van Ruisdael et son Moulin à Wijk près de Duurstede… La reine Béatrix qui compte ses derniers jours au pouvoir s’est déplacée. Avec toute une foule bigarrée pressée sur un immense tapis orange jusqu’à l’intérieur du musée. On s’agace quand le personnel du musée nous accueille par un Welkom à chaque étape, lorsque la file progresse, sans qu’on ait encore vu une peinture. Mais on s’extasie après une heure et demie après devant les tableaux présentés sobrement sur un fond gris. Trois fois hélas, moi qui voulais voir les scènes d’hiver du Siècle d’or, seule une partie du musée est accessible, et tout le monde doit suivre le même parcours.
Quelle belle facette de l’art hollandais pourra-t-on découvrir les prochains jours parmi les 8000 œuvres ? Des portraits sévères ? Des scènes d’intérieur propret ? Des réjouissances populaires ? Des moulins sur des polders ? Certes oui. Mais aussi étonnant que cela puisse être, on tombera nez-à-nez avec des peintures d’escarpements rocheux, de falaises, de montagnes. Depuis le Siècle d’or, certains paysages s’affranchissement de la topographie – plate, faut-il le rappeler ? – des Pays-Bas. Les artistes nous proposent de voyager dans des géographies rêvées… ou redoutées.
Le constat avait été dressé dès 1988 dans une intervention d’un des grands historiens de l’art hollandais, Ernst de Jongh, au musée des Beaux-Arts de Boston (publiée ensuite en 1995). Il avait compté que dans l’exposition « Nos maîtres du paysage » (1987), au Rijksmuseum justement, environ 40% des peintures représentaient des rochers et montagnes. Pour une exposition illustrant les artistes ayant peint leur pays, le chiffre était étonnamment élevé. Ernst de Jongh citait alors des exemples d’ « aménagements de l’espace » en peinture qui témoignent de l’invention des peintres. Ainsi, le château de Bentheim, dans un tableau de Jacob van Ruisdael en 1653, est bien plus élevé que dans la réalité. Chez Hercule Segers, c’est une montagne imaginaire qui prend place près de maisons amstellodamoises dans sa Vallée avec une rivière et des maisons (musée Boymans van Beuningen de Rotterdam). Et on pourrait multiplier les exemples…
Peut-on parler d’héroïsation et dramatisation de la nature ? Peut-être, car les écrits des poètes des XVIe et XVIIe siècles indiquent un mélange de fascination et de répulsion à l’égard des montagnes, même pour les plus petites de Hollande, comme le Lemelerberg en Overijseel qui pointe à 80 mètres de hauteur. Cette tendance à modifier en peinture la topographie des Pays-Bas ne date pas du XVIIe siècle, elle s’inspire des Flamands. Bruegel l’Ancien ajoutait ainsi à des paysages typiquement flamands des cimes alpestres aux neiges persistantes (Les chasseurs dans la neige, La journée sombre…). C’était l’époque des « paysages-mondes » qui juxtaposaient (un peu comme sur une carte) des lieux différents sur un même tableau.
Aujourd’hui, si le visiteur du Rijksmuseum s’émerveille devant ces géographies imaginaires, il peut tout aussi bien penser aux projets fous de créer une montagne artificielle aux Pays-Bas. Tout est-il parti du blog du cycliste et journaliste Thijs Zonneveld, en juillet 2011 qui écrivait : « Je veux une montagne. Une vraie. Aux Pays-Bas » ? Si le projet est loin d’aboutir, nul doute que certains peintres du Siècle d’or auraient été partisans d’une telle folie…
Alexis Metzger, envoyé spécial
Pour en savoir plus sur le Rijk’ : https://www.rijksmuseum.nl/
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Pour compléter :
Sur la Ronde de nuit, Vincent Noce écrit dans Libération (8 avril 2013) :
Tout le dernier étage du Rijksmuseum (1) est réservé aux collections du «Siècle d’or», alors que la peinture hollandaise atteignait son sommet, entraînée par l’opulence commerciale des Provinces-Unies, après l’indépendance conquise par Guillaume d’Orange.
En ce XVIIe siècle, jusqu’à 1% de la population pouvait se consacrer à la peinture. La collection muséale comprend un nombre respectable de tableaux de très grands maîtres, comme Jan Steen, Frans Hals, Vermeer ou Rembrandt, dont des œuvres aussi importantes que le Syndic de la guilde des drapiers et ladite Ronde de nuit, qu’il a sans doute livrée en 1643.
Ce titre, ajouté au XIXe siècle parce que le vernis s’était très assombri, est impropre : il s’agit en fait d’une scène diurne, du départ d’une compagnie pour une parade, sans doute liée à l’hommage rendu à Marie de Médicis à son arrivée à Amsterdam en 1638, après avoir été chassée de France. La même année, pour son siège, la garde a passé commande à différents peintres d’un cycle de tableaux représentant toutes ses compagnies. Le monument de Rembrandt n’était donc pas du tout un chef-d’œuvre présenté isolément tel qu’il l’est devenu.
Curieusement, après avoir publié cette recherche (Libération du 24 mars 1999), le Rijksmuseum maintient la date de «1642» sur son cartel. Il a posé sur le côté une copie d’élève, qui reprend la composition originale de Rembrandt, de cinq mètres sur près de quatre. Elle a été découpée en 1715 pour être accrochée sur les murs trop petits de l’hôtel de ville. On voit combien la scène a perdu sa profondeur et sa structuration, lui donnant cet aspect d’une mêlée confuse, bien trop romantique. (la suite ici)