Pour une visite à Rennes, superbe ville reformatée par un rouleau compresseur architectural français qui a recouvert ce que la ville avait de « breton », il faut demander à voir cette fameuse « rue de la Soif ». De son vrai nom, la rue Saint-Michel n’est pas en soi ce qui ferait jalouser Rennes. Mais elle fait la une de nos journaux de province, lorsque s’échauffent les riverains (ou ce qu’il en reste) et les flics. Il fut un temps pas si lointain où les CRS n’hésitaient pas à charger et passer à tabac les plus soiffards chaque jeudi soir qui marque le début des festivités durant les trois jours de la fin de semaine dans cette capitale.
Les Rennais n’ont pas le privilège de ce genre de rues, même si les Bretons aux chapeaux ronds et sans vignoble sont réputés pour une connaissance intime des vins, des bières et des boissons dopantes. Tours qui fut la ville du prude Jean Royer, inénarrable candidat « de l’ordre moral » (selon ses propres mots) à l’élection présidentielle de 1974, a le privilège non d’une rue mais d’une place Plumereau, sise non loin de l’université qui reste un haut lieu de ce que le maire appelait la « canaille » à l’époque où la racaille n’existait pas. Les amateurs de bière ont squatté la rue de Solférino à Lille (à ne pas confondre avec la bobo PS-compatible homonyme parisienne), à Caen la rue Ecuyère, à Limoges la rue Charles-Michels, à Cherbourg la rue de l’Union et la rue de la Paix, à Angers la rue Bressigny, à Orléans la rue Bourgogne, à Dijon, la rue Berbisey, à Lyon la rue Sainte-Catherine, à Paris la rue de Lappe et quelques goulets d’étranglement de l’Odéon (rue Guisarde, rue Princesse)…
Ces rues ont échappé à une succession d’opération d’urbanisme et ont conservé un bâti étroit, hétéroclite dont les surfaces commerciales ne sont pas adaptées au commerce contemporain. Délaissés par les commerçants, ces rues aux façades à colombages se révèlent adaptées à un petit commerce lucratif de bars. A une certaine époque, elles furent envahies de sex shops, plus récemment de cafés internet, d’ateliers de tatouages, de boutiques de bijoux et accessoires plus ou moins de mode. Sans oublier le petit restaurant tibétain ou afghan qui s’installe quelques mois et puis s’en va.
Ces quartiers donnent une idée de ce qu’étaient les villes avant les grandes opérations d’urbanisme politique des XVIIIe et XIXe siècles. Des milieux humains grouillants, bruyants, assommants que Victor Hugo avait saisi dans l’encre de ses Misérables qui étaient, de loin,les populations majoritaires des villes d’autrefois.
Avant que la mairie de Rennes n’achète tous les îlots pour requalifier le quartier, plongez dans les villes du passé. Mesdames, laissez vos talons à la maison ! Car la fête sera furieuse, même si elle n’est pas pour tous les goûts. Surtout à Rennes où la foule nocturne tombe dans une forme de déchéance au fur et à mesure que la nuit s’allonge.