Vedi Napoli e poi muori, vieille expression napolitaine qu’on devrait traduire par « Vois Naples et puis meurs ». Je confirme que nombreux étaient les Germains bronzés à l’aéroport vendredi matin à avoir envie de mourir. Pas de mots pour dire pourquoi Naples ensorcelle. Nous qui savions tous, que nous devrions plonger deux heures plus tard dans la grisaille et la pluie sur le tarmac de Francfort.
Naples, ville moquée des Italiens du nord qui l’ont spoliée depuis deux siècles. Une ville somptueuse, dont les rues romaines sont pavées par le basalte du Vésuve qui s’est invité trois fois en ville. Des palais, des églises, des maisons hautes, très hautes suintant le mépris de ceux qui la jalousent.
Imaginons une poignée de marins grecs venus de Rhodes, cabotant dans la botte il y a trois mille ans, fondant Parthenopolis sur une acropole. Puis d’autres colons de Cumes, quatre siècles plus tard, fondant une ville nouvelle, « nea polis » qui donne son nom. Naples repousse Hannibal mais ne résiste pas au consul romain Quinto Publilio Filone. Le duché byzantin qui devint normand par la guerre, et fonde son université au XIIIe siècle est ensuite englobée dans un royaume des Deux-Siciles, confiée ensuite aux Français d’Anjou par le pape pour deux siècles. Passé sous la coupe des Aragon d’Espagne, Naples est convoitée par le roi français Charles VIII mais reste espagnole jusqu’en 1707. A son apogée, naît la Camorra qui plonge son filet dans ce qui est alors la deuxième ville d’Europe après Paris. Des génies comme Caravage,
Bruno, Campanella supportent mal le gant de fer espagnole, poussant à la révolte avant que la peste de 1656 n’emporte la moitié de la population. Les Bourbons espagnols et viennois ne parviennent pas à remonter la pente, le peuple se soulève, la république est proclamée en 1799, les Français reviennent avant le retour des rois, puis la mainmise de Garibaldi, entré en train, qui met la main sur la ville, décision contestée par le peuple n’adhérant pas à l’idée de l’unité. Le Vésuve se réveille en 1906 et 1944.
Une telle histoire, peu de villes en connaissent d’aussi tumultueuse. Naples amalgame un peu d’Afrique, d’Espagne, d’Anjou, de Vénétie. Sa richesse a pu blesser tant elle est violente, incompréhensible lorsque les herbes folles poussent sur les façades d’églises somptueuses. Ferranti, le photographe, dit que Naples ne change pas, ne veut pas de la mondialisation. Voire. La ville a gardé ses artisans, son petit peuple, ses boutiques et ses chats. La crasse, le bruit voisinent l’or et le recueillement. Naples s’est figée dans une posture de refus. Elle ne mourra pas de la maladie de la civilisation.
Elle tient debout comme elle a toujours été. Les mafias africaines apportent leur lot d’esclaves vendant la pacotille chinoise entre les rondes de la police. Jeunes Noirs, Turcs, Maghrébins triment pour un donneur d’ordres invisible. La population locale qu’on voit dans les rez-de-chaussée, scotchée à la télévision, sort des films de Fellini. On les imagine hurlant au jeu du Calcio et se goinfrant de spaghettis et de pizzas.
Ville pauvre ? Assurément si riche veut dire briqué comme un trottoir à Berne. Mais étonnamment ville, c’est-à-dire un creuset. Des habitants qui n’ont pas déserté comme à Venise. Pauvre, peut-être, pauvre en euros, riche en paroles jusqu’à plus saoûlant, vivant au rythme des pétarades des vespas et des coups de pied dans le ballon, pouvant chanter et hurler, jamais apaisée. On n’est pas loin de ce qu’était une ville dans l’Antiquité.
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Pour en savoir plus :
Des photos anciennes du vieux Naples