Amateurs de vin, cette chronique de Geographica est pour vous ! Car vous aimez les vins mais la forme des flacons, les étiquettes qui vous ont aguiché, le muselet qui retient le champagne de faire des dégâts chez vous, tous ces objets et ces techniques sont issus de cultures qui ont une géographie. Qui sont nées ici et pas ailleurs, selon la formule consacrée, pour le pire et, surtout, le meilleur.
Car les trente milliards de bouteilles que l’on fabrique chaque année détonnent aujourd’hui dans l’univers des canettes en aluminium, des boites en carton, des contenants en plastique. Et pourtant, elles sont à l’origine d’une des plus belles histoires gastronomiques de l’humanité. Elles ont enveloppé la passion du vin, transmise depuis le IIIe millénaire en Mésopotamie et que l’Europe a portée à un niveau d’excellence inégalé – pardon nos amis californiens.
Jean-Robert Pitte, qui ne fait rien sans passion, est allé chercher dans les moindres archives tout ce qui pouvait l’aider à comprendre le choix des vignerons et des amateurs de vin. Des outres aux amphores, des tonneaux aux pots, pichets, cruches et gourdes, rien n’est oublié pour comprendre comment l’homme s’est préparé culturellement au contenant de verre. Le « triomphe de la bouteille de verre » est curieusement une histoire anglaise détaillée ici avec une gourmandise toute scientifique, faisant remonter les premiers vins en bouteille à Chiraz, en Perse à l’époque moderne. Qu’on se le dise : « Sans bouteille, pas de champagne mousseux » !
L’évolution des techniques de fabrication du verre, son travail pour passer des formes sphériques aux cylindres plus ou moins allongés, tout est raconté avec exhaustivité et gourmandise, digne du maître de l’auteur que fut De Planhol. Mais le livre s’aventure dans l’exégèse des formes « régionales » qui ouvre le regard des non-géographes sur ce qu’on appelle les « approches culturelles » : pourquoi la forme droite à Bordeaux, la bouteille ventrue à Beaune, le clavelin dans le Jura, le fiasco de Toscane, la bouteille au long col dans le Tokaj et la flûte en pays rhénan ? Tout est fouillé avec malice et talent, documentation très abondante à l’appui qui n’est qu’une mise en bouche pour un « épilogue » très réussi : la bouteille « objet de fantasme« .
Car la dive bouteille a été détournée de ses usages par les écrivains, leurs poèmes et leurs calligrammes, les révolutionnaires (et leur cocktail Molotov), les amateurs de chansons à boire et toutes les faiseurs de citations pour l’éternité. Celle de Louis Pasteur a été mal rapportée par la source citée de Jean-Robert Pitte. Car le père du grand savant avait prévenu son fils venant d’entrer à l’Ecole normale supérieure qu’ »il y avait plus d’esprit dans un tonneau de vin jaune que dans ton école« . Tonneau ou bouteille, l’essentiel n’est pas là sinon pour rappeler combien le vin stimule l’imagination. Les bouteilles comme faits de civilisation méritaient ce livre qui se boit comme une romanée-conti.
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La Bouteille de vin – Histoire d’une révolution, Jean-Robert Pitte, Tallandier, 320 p. (Un superbe cahier photos de 32 pages)