Le paradoxe du tourisme


En cette période de vacances, on peut s’interroger sur le bien-fondé du tourisme. Phénomène planétaire, phénomène de masse, phénomène majeur des deux derniers siècles: on pourrait aligner les superlatifs à son sujet. Et en même temps, le tourisme ne laisse pas de surprendre et d’irriter. La revue la Géographie avait abordé il y a peu le touriste en tant que tel.

On pourrait tomber dans l’imprécation comme un Julien Gracq qui vomissait le tourisme de masse et maudissait ces foules qui venaient saccager la beauté et l’authenticité des paysages. Ou aller vers le « tout le monde il est beau tout le monde il est gentil » des louangeurs du tourisme comme découverte de l’Autre et merveilleux élan de curiosité.

Bien entendu, la réalité reste sans doute entre ces deux extrêmes. Le livre de Jean-Didier Urbain, l’Idiot du Voyage, avec son sens habituel de la formule, donne une vision somme toute assez juste et pondérée de ce sacré tourisme.

Sacré, ce l’était à l’origine, puisque l’on peut voir le tourisme moderne comme une laïcisation des antiques pélerinages. Cela commence voilà fort longtemps, puisque déjà Pausanias, un Grec du IIe siècle de l’ère chrétienne, écrivait une sorte de guide bleu du monde antique, un monde qui de son temps commençait à oublier ses dieux pour ne plus regarder que les monuments. Rien de nouveau sous le soleil donc.

Il n’empêche. La massification du tourisme conduit ce dernier, dans bien des cas, à frelater ou détruire son objet. Les belles plages de Marbella sont un souvenir, tout comme la blancheur des vasques calcaires de Pamukkale, en Turquie, et le Mont Saint Michel lui-même bataille pour retrouver un aspect « sauvage » (!) alors que la digue construite au prix de grands efforts au XIXe siècle est sur le point de disparaître…

Les fameuses vasques de Pamukkale

On fait aussi du tourisme avec n’importe quoi: du terrain de guerre à la déchetterie en passant par les parcs d’attraction, on peut créer l’exceptionnel à peu près partout. Sylvie Brunel avait alors parlé de « disneylandisation » du monde, sans s’en émouvoir outre mesure.

Les génies des lieux touristiques sont tout de même bien ennuyés par ces hordes de visiteurs souvent indélicats, qui saccagent tout et prennent tout au pied de la lettre. A Brocéliande, le tombeau de Merlin: où est le corps? Le lac de Viviane: où est sa résidence secondaire? Pour ne parler que de la Bretagne, où j’ai eu récemment l’occasion de me rendre. Et quand on a « fait » un site, comme on placerait un papillon dans une boîte, on va ailleurs.

Le touriste, c’est toujours l’autre. Mais nous sommes toujours le touriste de quelqu’un d’autre… Et comme l’enfer, c’est les autres, on rêve toujours d’être le seul sur le coup. Mais voilà: sans guide, comment savoir qu’un lieu peut être visité, et mériter le détour, voire le voyage? Les guides disent tous: « lieu très peu touristique, allez-y! » Quelle blague.

Le guide touristique, genre normé à mort, répétitif à l’envi, est le bras armé du tourisme international. Et tous les guides les plus alternatifs ont été rattrapés par l’institution. A présent, tout cela marche comme sur des roulettes. Le tourisme est un produit culturel comme un autre, et tout cela commence par les vitrines des agences et surtout les sites de voyagistes. Une industrie florissante.

Le Baedeker, grand classique du guide touristique

Cependant, le tourisme est comme le degré zéro du voyage. Comme le fait remarquer J.-D. urbain, le touriste est celui qui accomplit un tour. Il est le même au début et à la fin. Et si de surcroît il ne lève pas le nez de son guide, il voit ce qu’on lui dit de voir et néglige le reste. Cet annuaire des lieux forcément superlatifs passe à la trappe des pans entiers de pays, de populations, avec une nonchalance redoutable. Une fois la sélection faite, autant passer le reste à la bombe à neutrons! « Ici, rien à voir ». Terrible sentence!

Le classement des bibliothèques confond le rayon tourisme et le rayon géographie. C’est une confusion lourde de conséquences. La géographie ne prétend peut être pas donner le « la » mais elle prétend porter un regard plus complet sur le monde. C’est ce que Geographica essaie de faire, à sa mesure.

Apprendre à respecter les lieux et leurs habitants, et prendre le temps de saisir les rythmes du lieu, voilà une belle gageure pour nous tous.

Bel été!

Ci-dessus: un hôtel de la région de Carnac, très dans le goût local…


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