Pourquoi l’entrée dans l’hiver est-elle souvent un grand bonheur ? Alors que les jours gagnent sur les nuits, qu’une année nouvelle marque ce temps de reconquête de la lumière, notre monde tempéré s’est plu à enchanter l’hiver. Le géographe Alexis Metzger travaille sur les correspondances entre le refroidissement climatique européen du Petit âge glaciaire (entre 1303 et 1860) et la nouvelle image du monde construite par les peintres flamands et hollandais. Et il s’étonne de cette production picturale exceptionnelle à partir du XVIe siècle, notamment ce tableau de Pieter Brueghel, Les chasseurs dans la neige (Jagers in de Sneeuw), peint en 1565 qui est considéré comme un chef d’oeuvre de la Kunstihistorisches Museum de Vienne (Autriche).
Pour quelles raisons ce tableau nous enchante ? Brueghel le drôle (ou le paysan) comme on l’appelait nous offre ce coin de Flandres comme un paysage où l’homme n’est plus le centre, comme relégué dans un quotidien insignifiant. N’étant plus le centre de la création, l’homme devient dépendant de la nature. Ici, une nature où les couleurs froides sont offertes comme la manifestation de ce temps d’hiver qui vient d’arriver et qui va bientôt passer. Certes, les chasseurs passent avec leur gibier et la meute, les aubergistes font du feu à mon avis bien près d’une maison, certes, en briques, mais tout de même.
Non, notre regard part sur les étangs où se passent d’étranges parties sportives d’enfants et d’adultes sur ces plaques gris-vert où les toupies tourbillonnent. C’est un tableau du plaisir de patiner, de jouer à se poursuivre entre garçons et filles, de parties de hockey auxquelles participent les chiens. Notre regard glisse sur la plaine, canaux et rivières, fermes dont l’une lutte contre un feu de cheminée. Leur maquette géométrique raconte l’aventure de la poldérisation qui a démarré il y a un siècle.
Les pies qui fendent l’air et le tableau nous emmènent encore plus loin, jusqu’au bord de mer, nous accrochent le regard sur ces montagnes imaginaires, vieilles réminiscences des Alpes traversées jadis pour aller en Italie. Pas réaliste tout ça, mais qu’importe ! La Suisse et les Pays-Bas sur cette même question de la nature qui domine et s’impose à l’homme.
Ce tableau pourrait être aussi un tableau du froid, le froid ressenti par le feu, les fumées. Mais on y semble indifférent, grisé par des plaisirs de rien du tout, ceux qui consistent à se laisser glisser et qui donnent le sentiment de vivre un moment magique. Car l’instant ne va pas durer. Tout ce bel assemblage va passer dans quelques semaines. Ce qui en fait le prix.
En une: « Chasseurs dans la neige », 1565
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Pour aller plus loin : Alexis Metzger Patinons sur la glace
Petite encyclopédie de la neige en peinture