Que ne ferait-on pas pour nos chers étudiants ? Notamment en copiant ce qui vient des États-Unis, ces fameux campus qui ont bien arrangé les politiques lorsqu’ils ont décidé d’ouvrir l’enseignement supérieur à tout va : pensez, on est passé de 300 000 à 2,4 millions étudiants entre 1960 et 2013. En réalité, les campus « à l’américaine » permettaient de chasser les jeunes des centres-villes où, au printemps, ils avaient tendance à bousculer le train-train des amphis. 1968 a été le déclic en France. On a vu l’université de Paris se fragmenter en plusieurs établissements, garder le latin à la Sorbonne, la physique et les mathématiques au Quartier latin et expédier la sociologie et a linguistique, disciplines réputées de gauche, dans le décor de carton-pâte de Vincennes, « non loin du zoo« , rajoutaient les mauvaises langues. Ailleurs, à Rennes-II, Toulouse-le Mirail, Lyon-II, on est allé sur le même modèle : les bourgeois (droit, lettres, histoire) au centre, les autres en dehors.
Aujourd’hui, Le Monde (4 janvier) publie une enquête sur les raisons pour lesquelles « le campus français [serait] une cause perdue« . Exprimant au passage l’ambition d’un Pierre Veltz, bien connu des aménageurs, pour lequel « le critère de réussite, à vingt ou trente ans, c’est que Paris-Saclay [le projet qu’il pilote et qui fut lancé en 2009] attire autant de professeurs et d’étudiants que l’université Harvard« . On rêve devant tant de naïveté qui ferait sourire si elle n’était pas exprimée par une personnalité respectée du monde académique.
Faudra-t-il attendre que la génération éblouie par « l’excellence » américaine dont nous a bassiné Valérie Pécresse lorsqu’elle était ministre de l’enseignement supérieur de F. Fillon, soit partie à la retraite pour cesser d’entendre de telles sornettes ? Que n’ont-ils pas habité, Pierre Veltz et tous ceux qui se lamentent sur l’échec des campus français, à Nanterre ou à Villetaneuse, à Saint-Denis ou même à Jouy-en-Josas, dans ces tristes ZUP qui conviennent si bien aux Anglo-saxons et dont la greffe n’a pas pris dans notre culture européenne où la ville ne saurait être un assemblage de cubes au milieu d’un champ vaguement arboré ? Dans quelle bible urbanistique et politique a-t-il été écrit que Harvard était le modèle à imiter, coûte que coûte, et que nos universités seraient plus efficaces à décamper sur des terres agricoles qui seraient si utiles à l’agriculture ? Que diraient les Charpak, Pierre-Gilles de Gennes, Cédric Villani et autres médaillés mondiaux qui n’ont pas, que je sache, travaillé et enseigné forcément sur des campus excentrés pour décrocher leurs prix Nobel et leur médaille Fields ?
On se croirait au beau temps du communisme chinois lorsqu’on entend le bien pensant Jean-Claude Casanova, connu pour s’accrocher à l’Institut d’études politiques (VIIe arrondissement de Paris) comme une moule à son rocher, dire qu’aux États-Unis « les campus sont conçus pour être des lieux de travail intensif. Faire perdre leur temps aux professeurs et étudiants en les faisant venir de loin chaque jour est considéré comme un scandale« . Au nom de quoi, les étudiants français devraient-ils vivre dans des universités made in America, lorsqu’on sait que le concept de campus remonte à l’université de Virginie, fondée en 1819 par le si génial « président-architecte » Thomas Jefferson ? Aurait-on oublié que les universités sont nées en Europe de l’émulation urbaine au Moyen Age ?
Il reste à souhaiter que lorsque toute cette génération d’architectes et urbanistes rêveurs reposeront en paix (on leur souhaite le Père Lachaise ou Montparnasse, s’ils veulent de la visite), les étudiants n’auront pas déserté le centre de Paris qui n’a pas vocation à devenir un Disneyland et un mouroir pour vieux riches. En espérant que les rentiers des centres-villes seront assez nombreux à louer des chambres de leurs vastes appartements à des étudiants qui auront refusé les ghettos, aussi dorés et arborés soient-ils, des ultra-périphéries de la capitale et de nos métropoles.
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Pour sen savoir plus sur les méga-projets de campus universitaires, actuellement en chantier, en France :
Bordeaux -Pessac
Nombre d’étudiants : 63.000
Nombre d’enseignants-chercheurs : 3.100
Coût du projet : 713 millions d’euros
Lyon
Nombre d’étudiants : 70.000
Nombre d’enseignants-chercheurs : 3.700
Coût du projet : 727,8 millions d’euros
Paris-campus (heureusement, dans Paris. Merci M. Delanoë)
Nombre d’étudiants : 300.000
Nombre d’enseignants-chercheurs : 9.500
Coût du projet : NC, seule la dotation de 700 millions d’euros de dotation de l’Etat est connue.
Marseille
Nombre d’étudiants : 72.000
Nombre d’enseignants-chercheurs : NC
Coût du projet : 540 millions d’euros
Grenoble
Nombre d’étudiants : 51.000
Nombre d’enseignants-chercheurs : 3.100
Coût du projet : 535 millions d’euros
Montpellier Sud-de-la-France
Nombre d’étudiants : 53.000
Nombre d’enseignants-chercheurs : 3.650
Coût du projet : 487,5 millions d’euros
Nombre d’étudiants : 42.760
Nombre d’enseignants-chercheurs : 2.672
Coût du projet : 439,5 millions d’euros
Campus Condorcet (Paris, mais sur le périphérique)
Nombre d’étudiants : 11.500
Nombre d’enseignants-chercheurs : 2.700
Coût du projet : NC, seule la dotation de 450 millions d’euros de l’Etat est connue.
Toulouse
Nombre d’étudiants : 75.000
Nombre d’enseignants-chercheurs : 3.500
Coût du projet : 427 millions d’euros
Campus lorrain
Nombre d’étudiants : 45.000
Nombre d’enseignants-chercheurs : 3.000
Coût du projet : 160 millions d’euros
Grand Lille
Nombre d’étudiants : 60.000
Nombre d’enseignants-chercheurs : 3.600
Coût du projet : 153 millions d’euros