L’Ukraine déchirée


Ci-dessus: Vue générale de la place de l’Indépendance pendant les affrontements. AFP/BULENT KILIC et le Monde

Les violences inouïes qui se déchaînent en ce moment en Ukraine laissent percer la véritable nature du pouvoir en place à Kiev: des manifestants littéralement martyrisés par une répression impitoyable, et comme dans le cas de la Syrie du reste, un dérapage vers des affrontements armés à cause de l’obstination stupide d’un pouvoir totalement déligitimé.

Comme le fait remarquer un journaliste de Libération, Marc Semo, l’Ukraine est vraiment à la croisée des chemins. Mais il est surtout frappant de voir à quel point l’opinion populaire est piétinée au nom d’intérêts qui fleurent bon la Raison d’État. La Russie fait pression pour que l’Ukraine soit arrimée, de gré ou de force, à son propre projet d’union commerciale avec le reste de l’Asie, comme au bon vieux temps de l’Union Soviétique. Et comme au bon vieux temps de Staline, tous les moyens restent bons pour qu’un peuple reste dans le giron du pouvoir moscovite, quitte à le massacrer sans vergogne.

Rien de nouveau sous le soleil ? On pourrait imaginer que la fin de la Guerre froide, en refermant l’épouvantable XXe siècle, aurait aussi marqué la fin des grands massacres. Et pourtant, du Rwanda au Kosovo, tout infirme cette hypothèse. Dans le cas de l’Ukraine, le symbolique le dispute au politique, dans la mesure où la Russie veut maintenir sous sa coupe l’Ukraine « pour des raisons historiques ». Mais l’Histoire a bon dos, si l’on prend en compte les intérêts purement économiques liés au gaz. La Russie essaie de redorer son blason à Sotchi tandis que les séides de Moscou supplicient leur propre population à Kiev.

Le pays est en quasi soulèvement contre ses dirigeants. Le sentiment national est très fort en Ukraine, car c’est un pays qui a énormément souffert tout au long du XXe siècle à cause d’événements extérieurs. Tout comme la Pologne ou, plus proche de nous, l’Alsace, ce sont des régions frontières, des ponts culturels qui à cause de cette position, sont doublement détruits  et ravagés par leurs ennemis.

L’Ukraine, à l’est de l’Europe, à l’ouest de la Russie…

Si l’on regarde la place de l’Ukraine entre Asie et Europe, elle peut être rattachée, tout comme la Turquie, à un ensemble ou un autre. Mais la population ukrainienne, que veut-elle? Car à parler sans cesse de la Russie ou du pouvoir ukrainien ou encore de l’Union Européenne, on en oublie une réalité toute simple: les gens qui sont en train de se faire tuer sur les barricades essaient d’exprimer leur opinion.

Nous avions déjà parlé de prévarication des élites : c’est ce qui se passe un peu partout dans le monde. c’est contre cela que se sont soulevés les Tunisiens, les Égyptiens, les Syriens… ces élites qui se comportent comme des prédateurs envers leur propre population avec un mépris et une violence incroyables, réussiront-ils à imposer leur « modèle »? Car c’en est un.

D’une certaine façon, nous sommes un peu comme à Rome à l’époque des Gracques : les très grands propriétaires essaient de drainer absolument toutes les richesses à leur seul profit et ce qui reste de population libre essaie vainement de résister. L’étape suivante? Une population « libre » en réalité totalement dépendante du bon vouloir des super-riches, et totalement abêtie par le pain et les jeux. Car les Gracques ont été assassinés et les grands propriétaires ont gagné.

Cela peut sembler caricatural, mais nous verrons bien….

Pour le moment, le destin de l’Union Européenne se joue peut être à Kiev, Union paradoxalement défendue, en creux, par des manifestants qui n’appartiennent pas à l’Union, mais essaient simplement d’exprimer leur volonté. C’est déjà énorme.

Y-a-t-il solidarité avec eux? Rien n’est moins sûr, mais on ne peut ignorer la gravité d’une crise qui, si elle se passe bien à la marge est de l’Union, nous concerne tous à présent.

 

 

 


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