Va-t-il falloir migrer au Québec ou en Suisse pour pouvoir analyser le territoire français ? Car Mario Polèse et Richard Sheamur nous envoient ce livre depuis Montréal avec un détour par l’université Paris-XII pour Laurent Terral (1). Aussi jolie et percutante que fut la formule ressassée depuis soixante ans sur le « désert français » circumparisien, rien n’est plus faux pour les auteurs qui enquillent les statistiques depuis 1982 : Paris « croît moins vite que d’autres régions ». En fait, c’est de capitales régionales qu’il s’agit, les auteurs mettant en miroir les taux de croissance de Toulouse, Nantes et Bordeaux. Pointant ce qu’ils appellent des « agglomérations moyennes, de 500 0000 à 1 million d’habitants » situées au bord de la mer et au soleil.
Croître moins vite, c’est croître quand même : « en onze ans, affirme l’ancien maire de Paris Bertrand Delanoë, la capitale a regagné 125 000 habitants, dont 16 000 familles et 31 000 jeunes » (2).
Rien de nouveau sous le soleil, donc. Sauf qu’en mettant en avant le soleil et la mer (qui n’expliquent rien sur l’emploi), on passe sous silence la décentralisation et l’aménagement du territoire. Polèse, Sheamur et Terral ne tombent pas dans le piège. Ils évoquent aussi la « tertiarisation » d’une capitale aujourd’hui désindustrialisée. Quel intérêt d’évoquer ce mouvement qui a pris fin depuis belle lurette et qui ne rend pas compte de la complexité de l’emploi parisien n’ayant rien à voir avec un dualisme tertiaire/secondaire ?
La nouveauté du livre ? Paris ne parlerait pas la langue des « élites de la mondialisation ». Elle serait belle, romantique, pleine d’attraits – y compris par un régime fiscal ad hoc pour les hauts revenus (?). Ce qu’avaient déjà dit d’autres chercheurs : Paris est une ville de résidences secondaires. Où est l’erreur ? Met-on cette fonction résidentielle dans les attraits ou les signes du déclin, car évidemment, quand on compare avec des statistiques, il faut qualifier le mouvement : progrès, régression ? Incorrigibles Français qui se lamentent de Paris trop fort et de Paris sur le déclin du vieillissement…
Autre tare française : les diplômés qui ne pourraient supporter le prix du logement ou de l’inconfort des réseaux de transport franciliens auraient la tentation de Bordeaux, Toulouse, Nantes, Strasbourg comme d’autres eurent celle de Venise. Pire, de Bruxelles ou de Londres. On renvoie aux chiffres de Bertrand Delanoë…
Revenant à notre territoire, Polèse, Sheamur et Terral trouvent la France et son territoire uni et relié. Manière de dire qu’en France, ça ne va pas si mal. Et si « Paris et le désert français » était un message subliminal révélant la pensée intime des Français sur leur territoire ?
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(1) La France avantagée. Paris et la nouvelle économie des régions, Mario Polèse, Richard Sheamur et Laurent Terral, éditions Odile Jacob, 220 pages, 23,90 euros.
(2) Le Monde, 8 mars 2014