Qu’est-ce qu’être initié en Afrique ou ailleurs? C’est pour la plupart des Occidentaux, un concept bien mystérieux. Et à propos de mystère, nous sommes gâtés, entre X-Files et Dan Brown et son Da Vinci Code, on nage souvent en plein bouillon de culture. Pourtant cela renvoie à une réalité profonde…
Cette photographie, issue de l’exposition du musée du quai Branly « Bois sacré. Initiations dans les forêts guinéennes », qui a débuté le 4 mars et dure jusqu’au 18 mai, nous interpelle.
Le texte de présentation de l’exposition nous dit:
« Sur le continent africain, le moment de l’initiation marque un passage obligatoire pour chaque individu. Pour certains pays d’Afrique de l’Ouest, c’est l’initiation Poro qui joue un rôle primordial dans plusieurs communautés dans la région. L’exposition porte plus précisément sur les sociétés secrètes des forêts guinéennes : Libéria, Guinée, Côte d’Ivoire.
Le terme générique de Poro désignerait chez les Toma « le masque ». La manifestation du pouvoir, que détiennent uniquement certains individus, est matérialisée par des objets qui interviennent dans l’initiation, et en tout premier lieu, les masques qui jouent un rôle essentiel. Les Toma – aussi appelés Loma – sont considérés en Afrique de l’Ouest comme les créateurs du Poro, organisation qui aurait été instaurée vers le XVIe siècle. Le Poro a ensuite été adopté et adapté par d’autres populations, plus ou moins proches géographiquement des Toma.
L’exposition évoque l’origine du système initiatique du Poro, la cérémonie d’initiation et enfin l’histoire de la collecte et de la collection de ces objets dont la force réside dans le secret. Elle rassemblera de nombreux masques liés à l’initiation, et en particulier les différents types de masques des Toma, ainsi que d’autres objets, masques miniatures, figurines et statues, relatifs à ces sociétés à mystères.
L’invention du Poro
Le système initiatique de la majorité des populations établies dans les forêts guinéennes (Libéria, Guinée, Côte d’Ivoire) porte le nom générique de Poro. Les Toma sont considérés en Afrique de l’Ouest comme les créateurs du Poro, organisation qui aurait été instaurée vers le XVIe siècle. Le Poro a été adopté et adapté par d’autres populations, plus ou moins proches géographiquement des Toma : les Kouranko, les Nzekéré, les Guerzé, les Geh, les Maou et plus loin les Sénoufo de Côte d’Ivoire.
Le passage de l’enfance à l’âge adulte se fait par la progression des jeunes hommes initiés à travers un tunnel creusé dans le sol. Les masques qui entrent en jeu lors de ces cérémonies ne présentent aucun trait commun avec ceux des Toma alors que l’institution est bien la même. Il existe un Poro pour les jeunes femmes, souvent comparé aux pratiques initiatiques féminines plus connues des Mendé de Guinée et de Sierra Leone. »
Sociétés à mystères: on fait donc allusion à ce qui, dans l’Antiquité, correspondait aux Mystères d’Éleusis, pratiqués près d’Athènes, et qui avaient été transmis à bien des personnages connus, comme Platon par exemple.
La forêt comme lieu de transformation est un universel, que l’on retrouve dans la plupart des cultures. On pourrait penser, du reste, au début de la Divine Comédie de Dante, puisque l’auteur décrit son chemin au milieu d’une forêt: « Au milieu du chemin de notre vie, ayant quitté le chemin droit, je me trouvai dans une forêt obscure… »
C’est ici que commence le cheminement véritable. Sur la photographie présentée ici, que voit-on? Des personnages habillés de manière étrange, distingués des autres, mis à part. L’usage des masques leur confère une force particulière. Ils sont « initiés », c’est à dire mis sur un chemin de la transformation. Et c’est la forêt qui joue un rôle actif dans ce processus. y aurait-il une géographie de la transformation intérieure? Certainement…
Photo: Guelemlai initié toma, 1953. Tirage argentique sur papier monté sur carton, 22,5 x 29,5 cm. Jean Fichter @ musée du quai Branly