Dans un entretien avec Véronique Soulé (1), Marie-Duru-Bellat, sociologue, explique quels sont les stéréotypes rattachés aux filles et aux garçons et comment ils influencent la vie des classes et « nuisent à la réussite ». Car « les élèves qui réussissent le mieux sont les moins marqués par les stéréotypes. »
La sociologue explique qu’on est tous d’accord pour constater les inégalités au travail mais qu’on ne définit pas l’inégalité de la même manière. Pour les uns, l’égalité, c’est la ressemblance (« on est tous pareils, un point c’est tout »). Pour les autres, « on est complémentaires ». Mais l’idée de complémentarité va avec des stéréotypes (les femmes sont sentimentales, les hommes dans l’action…). Pour Marie Duru-Bellat, c’est « une peur de la ressemblance qui nous projetterait dans un monde inconnu. Personne n’ose affirmer : «Je suis contre l’égalité, les filles sont inférieures», comme personne ne dira que les Noirs le sont. Mais beaucoup prétendront que les femmes ne savent pas lire une carte routière. »
A quoi ce stéréotype est-il dû ? Probablement au fait que le domaine de la voiture a été longtemps celui du mâle dominant. Car la première voiture était surtout mécanique, impliquait de la force, un certain goût pour la technologie. Peut-être fallait-il aussi se salir quand il s’agit de changer un pneu crevé… Maintenant que les voitures se conduisent surtout avec des systèmes électroniques, les barrières sont tombées. On dira même que les métiers de conduction d’engins publics (bus, métros) se sont féminisés, signe qu’ils ont perdu de leur aura. Nous n’avons pas réussi à savoir à la SNCF si des femmes conduisaient les TGV et chez Air France si les femmes qui excellent en cabine sont aussi efficaces comme pilotes.
Pour Marie Duru-Bellat, il y a un lien entre les stéréotypes et l’échec scolaire. « Les filles ne sont pas seulement présentées comme douces et charmantes, et les garçons comme des leaders nés. Elles sont aussi réputées réussir plus facilement en lettres et en langues, moins en mathématiques et en physique. Petits, les garçons ne seraient pas très bons en lecture, puis à l’écrit et en langues, mais ils excelleraient dans les matières scientifiques. » Lorsque j’étais professeur en lycée, les pères signaient les carnets de note s’il y avait des notes en mathématiques, sinon les mères s’acquittaient de la tâche. Même constat en réunion de parents : les mères posent les questions aux professeurs de lettres, les pères aux scientifiques…
« Les psychologues montrent que ces préjugés ont un effet négatif, car il existe «la menace du stéréotype» : face à un exercice de physique, une fille va avoir peur de le confirmer, ce qui va limiter ses chances de réussite. Des expériences ont montré que si l’on présente le même problème comme de la géométrie ou du dessin, les filles le résoudront mieux si on leur dit que c’est du dessin. Les stéréotypes affectent vraiment la vie des classes. En cours de français, les garçons vont, eux, avoir peur d’exprimer des émotions devant un texte parce que ce n’est pas masculin. Les enseignants eux-mêmes, qui les ont intériorisés, vont attendre plus des garçons dans tel domaine et des filles dans tel autre. Toutes ces images attachées aux diverses matières affectent les apprentissages, c’est bien la preuve que les différences ne sont pas inscrites dans les chromosomes ni dans le cerveau. »
« Souvent les filles matheuses sont un peu garçonnes et les garçons littéraires un brin efféminés… Des travaux canadiens montrent en effet que les élèves qui réussissent le mieux sont les moins «marqués» par les stéréotypes. Les filles pas trop «féminines» osent aller sur les brisées des garçons, et réciproquement. On ne réussit pas seulement en fonction de ses caractéristiques personnelles, mais selon l’image que l’on a de soi comme étant compétent dans tel domaine et, de ce fait, conforme ou non aux stéréotypes. »
Conclusion (provisoire) : pourquoi chez Vermeer qui a peint un géographe et un astronome, ceux-ci sont des hommes alors que les femmes pèsent les perles des colliers ? On connaît la réponse… Mais encore ?
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Libération, 19 avril 2014