Le rock réserve toujours des surprises, et Damon Albarn est là pour le prouver. Le talentueux chanteur du groupe Blur, et acteur majeur du projet Gorillaz, se révèle à travers des albums plus personnels dont Everyday Robots est le dernier opus. Il donnait à cette occasion une interview au journal le Monde dans laquelle il évoquait tour à tour sa jeunesse dans un quartier cosmopolite de Londres et l’apport que cela représente dans son travail. Comme il l’explique lui-même au cours de l’interview:
La chanson Hollow Ponds fait-elle référence à votre enfance ?
Avant d’enregistrer, je suis retourné à Leytonstone, le quartier du nord-est de Londres où j’ai vécu jusqu’à l’âge de 9 ans. C’est là où se trouvent ces Hollow Ponds, des petits étangs artificiels qui datent de l’époque victorienne. Cela peut sembler vaniteux, mais j’ai regardé mon reflet dans leur eau et j’y ai vu émerger le gamin que j’étais en 1976. Cela a été le point de départ du disque. J’avais besoin de ce choc psycho-géographique.
A quoi ressemblait alors Leytonstone ?
Nous vivions dans une rue pleine d’émigrés de la première génération. Des Jamaïcains, des Brésiliens, des Indiens, des Pakistanais… J’ai le souvenir de supers ambiances, d’une variété d’odeurs, de couleurs. A l’école primaire, il y avait autant de gamins noirs que blancs. Je m’y sentais d’autant plus à l’aise que mon père, professeur d’art, peintre et sculpteur, comme ma mère, était passionné de géographie et curieux de toutes les cultures.
La géographie comme clef d’émancipation et d’ouverture sur le monde? Et pourquoi pas! Deux allusions sont intéressantes à relever: la première, assez peu courante il faut bien le dire, est ce « choc psycho-géographique ». On peut se demander en effet si Damon Albarn connaît Guy Debord, puisque c’est lui qui a lancé l’expression « psycho-géographie », expression importante car elle a introduit l’idée d’une relation entre les lieux de vie et les lieux de « dérives urbaines », lieux de découvertes et d’invention d’itinéraires imprévus et subjectifs, en rupture avec le train-train quotidien. La psycho-géographie ouvre sur l’imaginaire et l’invention de parcours nouveaux dans la ville et ailleurs. Nous en avions parlé dans un article consacré à Debord. Albarn ne fait peut être pas allusion directement ni consciemment à Debord, mais en tout cas, la démarche est intéressante dans la mesure où elle montre les liens profonds qui existent entre un lieu et les souvenirs, les sensibilités qui y sont attachés.
Ensuite, avoir des parents artistes et passionnés de géographie, cela peut donner des ides, apparemment! Le fait d’être en contact permanent avec des personnes d’autres cultures, cela stimule certainement. La géographie pourrait-elle avoir un rôle en art? Certainement, et nous avons assez montré ici dans les port-folios comment les cartes pouvaient constituer un domaine en art. Mais dans le cas de Damon Albarn, nous avons affaire à un personnage original, qui n’a pas hésité à développer ses curiosités parfois en marge du monde de la brit pop, notamment avec un album consacré à John Dee, mage et astrologue de la reine Élisabeth Ière, et un spectacle adapté d’un classique de la littérature chinoise, The Journey of the Monkey to the West, monté notamment au théâtre du Châtelet.
Dans tous les cas, le mélange d’influences exprimé par Albarn donne une image certainement enthousiasmante d’une certaine mondialisation culturelle, intelligente et bien conduite, dans le respect des cultures actuelles.