L’insolente tête à claques de Patrick Besson nous livrait, cet hiver, dans Le Point (1) une chronique intitulée joliment « Vacances interdites ». Regrettant que les humanitaires et les militaires soient les seuls à être autorisés dans certains pays jadis vantés par un catalogue Air France de 1965 : Vacances aux quatre coins du monde. En faisant le compte de ces pays jadis vantés par la compagnie : « des destinations de rêve devenues, en 2014, lieux de cauchemar. Du bain au bain de sang ».
En cette glorieuse époque qui ficha la frousse au général de Gaulle mis en ballotage par le suffrage universel (les ingrats, quand on y pense aujourd’hui…), est-ce que les publicitaires n’avaient pas fumé pour écrire autant d’âneries : « Un voyage à travers l’Irak, c’est un voyage à travers les aventures et les légendes qui ont bercé notre enfance ». Avec invitation, à Bagdad, « cité de la paix » à admirer « les notes fraîches et colorées que les mosquées ajoutent au centre de la ville… » Le soir venu, le graphomane proposait de « déguster un arak en grignotant pistaches et noisettes dans la pénombre d’un cabaret oriental où une voix suave chante les mélopées de l’islam ». Air France écrivait de semblables fadaises sur le Pakistan et la Thaïlande, pour ne citer que les perles extraites par Patrick Besson.
Comme on sait que le niveau scolaire ne cesse de baisser depuis la fin des hussards de Jules Ferry, on se réjouit de savoir que des rédacteurs pouvaient écrire autant de niaiseries sur l’Irak déjà en rébellion depuis 1961 contre le Kurdistan. Faisant mine d’ignorer que le premier ministre d’alors avait péri assassiné lors du coup d’État de 1963, qui vit le sinistre parti Baas prendre le pouvoir, en réprimant un soulèvement en novembre de la même année.
Même constat pour la Syrie dont le chantre d’Air France, tout à ses fantasmes des Mille et une nuits « parcourt deux mille ans d’histoire » alors qu’un coup d’État a installé une faction qui entraînera la Syrie dans la terrible guerre avec Israël en 1967.
Patrick Besson continue son voyage nostalgique en Afrique qu’on appelait « noire » à l’époque, y compris au Mali qui offrait de quoi faire des « excursions » depuis Bamako. Il bifurque ensuite au Pakistan et ses stations balnéaires de rêve, notamment Clifton Beach d’où l’on « prend le bateau pour Manora, exquise petite île parfumée qui regarde Karachi ».
Ce qu’auront laissé ces années 1960 à ceux qui ne les ont pas vécu, ce n’est pas de la nostalgie. Mais le sentiment d’un mépris face aux malheurs du monde. Le chaos d’aujourd’hui n’a-t-il pas été préparé par la bêtise de cette triste époque où les drames autorisaient les publicitaires du tourisme à écrire n’importe quoi ? Certes, à chacun son métier. On lit toujours ces même fadaises enrobées de cet abominable adjectif de « durable » chez Voyageurs du monde et autres boutiques qu’Internet n’a pas encore balayées. Mais il faut penser que le chaos d’aujourd’hui dans ces pays en développement doit être mis en regard avec cette sinistre période post-coloniale. Et ne pas oublier que la facture payée par ces peuples a été écrite aussi dans ces « mythiques » années 1960.
Cela étant, remettons Besson là où il était : dans ces dénonciations moqueuses sur l’idée du bonheur commercialisé par les boutiques de voyages. Moqueur jusqu’à un certain nihilisme qui est l’ultime point d’arrivée de l’ironie.
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(1) 30 janvier 2014
En une: planisphère Air France, 1937