La géographie, ça sert (aussi) à semer la terreur


Les populations exposées au terrorisme (Monde)

Il y a quelques années, à Washington, au cours d’une conférence sur le contre-terrorisme organisée par le renseignement du Pentagone, The Defense Intelligence Agency (DIA), s’étaient rassemblés des travailleurs de l’ombre reconvertis après la guerre froide dans un secteur nouveau appartenant à la catégorie plus large des « nouvelles menaces » (prolifération nucléaire, armes de destruction massive, crime organisé). Une véritable congrégation qui écoutait sagement les propos à la tribune. Le dernier intervenant arrive en fin de journée, fatigué mais avançant à grandes enjambées vers l’estrade, valise à la main, cheveux longs coiffés d’un chapeau noir, barbe fournie, lunettes foncées, pantalon déchiré, veste de cuir, rien de commun avec les clergymen du renseignement. Il ouvre, d’un geste sec, sa valise et balance deux grenades sur la foule, pointe un fusil M 16 sur l’audience tétanisée.

Pas d’explosion ni de coup de feu. L’homme s’installe tranquillement au micro et commence son discours. Et une part de l’assistance reconnaît cette voix familière : il s’agissait du directeur de la DIA, un général donc, qui s’était déguisé en « terroriste », et avait voulu montrer à ses ouailles combien il était facile de s’introduire dans un bâtiment (dans les universités américaines, il n’y a pas de contrôle à cette époque) et éliminer la fine fleur du contre-terrorisme américain. En récupérant son uniforme, le général eut ces mots prophétiques : « Un jour des terroristes s’attaqueront à un bâtiment comme celui-ci à Washington ou à New York. Ils provoqueront la mort de centaines de victimes et un choc psychologique sans précédent. La question n’est pas de savoir si un tel acte aura lieu sur le territoire américain, mais quand et où. C’est à vous, Messieurs, de vous préparer. C’est entre vos mains que repose la sécurité de notre territoire ». C’était en 1998. Trois ans plus tard, 19 hommes terroristes décidés provoquent la mort de 3000 personnes dans l’attentat terroriste le plus spectaculaire, frappant même la DIA à Washington.

Un peu de recul montre combien cette mise en scène paraît surréaliste. Du fait des propos du chef du renseignement. Mais aussi de l’incapacité des hommes à suivre les conseils. Sans compter l’image un peu  de marginaux fanatiques prêts à tout faire exploser, comme dans les dessins et caricature avec agité et sa bombe dans la main, et les discours sur l’imminence d’un terrorisme de haute technologie, cet « hyperterrorisme » contre lequel les politiques se préparent bien mal.

Aussi curieux que cela puisse paraître, l’humanité a vécu l’essentiel de son histoire dans un monde de terreur, c’est-à-dire la crainte inspirée. Toutes les sociétés despotiques – et elles ont été nombreuses – ont été inspirées par la peur, comme le furent les régimes totalitaires. C’était le règne de la soumission à l’ordre établi et de la force qui a été, pour l’essentiel, le seul espace de sécurité et, en somme, de liberté. Même dans la préhistoire, il régnait une terrorisante insécurité face à la nature, aux bêtes, aux autres hommes. L’usage de la terreur s’impose comme méthode de gouvernement dès le début des sociétés organisées comme facteur de dissuasion et de châtiment.

 Terrere en latin signifie « faire trembler ». Le premier empire à avoir été constitué est celui de Sargon en Mésopotamie, et il était fondé sur la terreur. Le premier empire militaire de l’Antiquité, celui des Assyriens, avait une rigueur dans les représailles qui était destinée à frapper les esprits et briser toutes les volontés. En temps de paix, la terreur est introduite par la violence guerrière, tel un glaive sur toute tête qui se relève. Elle est l’instrument de la servitude dans les sociétés despotiques, le garant de la soumission de la multitude. La terreur d’Etat, suspendue ou exercée, traverse l’histoire. Une fois exécutée, elle sert de contrainte sans qu’il soit nécessaire de combattre, comme le montrera le cas de Tamerlan.

Les historiens insistent beaucoup sur la terreur pendant la Révolution française. Mais la terreur a été constante, à des degrés divers. Aujourd’hui, le terrorisme se réduit surtout à la description ou à l’analyse de l’emploi illégitime de la violence sous la forme de l’acte à caractère terroriste. Le fait le plus célèbre aujourd’hui est le terrorisme à connotation religieuse, bien que ses buts soient politiques. Mais le terrorisme est aujourd’hui davantage que la guérilla, l’arme quasi unique du faible contre le fort. Son impact vise d’abord les esprits. En ce sens, le terrorisme est une forme violente de guerre psychologique et dépasse largement ses effets physiques. Il sert, avec des moyens dérisoires, à créer du pouvoir en espérant atteindre par le bas ce dont l’Etat dispose par le haut.

En un lieu étroit, quelques mètres carrés d’une salle de réunion à quelques étages d’une tour, la géographie joue comme un condensateur de peur qui va se répandre loin, très loin avec les médias. C’est ainsi que s’est joué l’assassinat de 17 personnes dans les locaux de Charlie Hebdo, à Montrouge et dans un hypermarché casher à Paris, entre le 7 et le 9 janvier 2015. Une stratégie qui s’est fracassée sur les manifestations du 11 janvier.

 

_____________

Pour certaines sources de cet article, voir :

CHALIAND Gérard, BLIN Arnaud (dir), Histoire du terrorisme, Fayard, 2004 (nouvelles éditions plus récentes)


Une réponse à “La géographie, ça sert (aussi) à semer la terreur”

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.