Dans son postillon d’humeur clôturant chaque livraison hebdomadaire du Point, Sylvain Tesson – le Paul-Emile-Victor du XXIe siècle, car chaque siècle a besoin d’un Paul-Emile-Victor – écrit le 3 janvier : « Cette chance, en France, de disposer de la couverture cartographique de l’IGN au 1/25 000. Et si les malheurs de notre temps venaient de ce que nous vivons à trop grande échelle ? »
Bonne question de géographie, élève Tesson ! Intrépide voyageur qui connaît son Blaise Pascal, le génie pensant que « tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre » (1), Tesson, l’homme qui s’est confiné (volontaire) au bord du Baïkal et en Russie, oublie qu’il peut se retirer du monde parce qu’il a le choix. Il alterne des phases de mobilité aiguë avec des marches confinées au 1/25 000. « J’ai la subite envie de m’inventer une vie au 1/25 000. C’était le rêve des anarchistes, des communards et des Grecs qui lisaient Xénophon : réduire l’espace de notre agitation, se replier dans un domaine« . Tesson omet, dans ce paragraphe, de dire que les anarchistes, les communards et les Grecs étaient des gens vivant dans un monde très riche d’idées, rêvant ici d’un autre monde, voulant la Commune à Paris par idéal et pas par confinement. L’image du repli en un domaine n’aurait pas plus convenu aux cénobites du désert d’Egypte et aux chartreux (vivant déjà dans l’éternité) qu’à des rêveurs instables poussés par la mélancolie à désirer le repli précisément parce qu’ils pensent « ailleurs ».
« Accueillir des pensées universelles en cultivant son lopin. Ne côtoyer que les gens qu’on peut aller visiter à pied. Ne manger que les produits de sa propre région, en bref, vivre sur les chemins noirs, ces sentes secrètes qui strient les feuilles de l’IGN, échappant au contrôle de l’Etat. Il est urgent de changer d’échelle. » Voeu pieux qui n’engage Tesson que le temps d’écrire, puisque son journal raconte que deux jours plus tard, il est dans l’Aisne, puis à Paris le week end des attentats contre Charlie Hebdo avant un énième voyage en Russie…
Sylvain Tesson fait penser à ces missionnaires emplis du feu de Dieu, quittant père, mère et brebis pour les pays lointains et qui, lorsque la douleur perce sous les dents, reprennent le bateau ou l’avion en sens inverse oubliant ce qui les avait poussé au rêve.
La mélancolie se vend bien dans les pays riches qui n’ont jamais été autant gyrovagues. On peut même proposer que les cartes IGN au 1/25 000 soient distribuées dans tous les TGV comme éloge de la lenteur.
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