Des paysages de papier pour dire l’érosion de la culture… C’est ce que propose l’artiste canadien Guy Laramee, à travers toute une série d’oeuvres plastiques originales conçues à partir de livres anciens extrudés, creusés et sculptés comme autant de paysages nés de l’érosion. Partant du constat que le livre est mourant et que « les bibliothèques, en tant que lieu, sont finies », il en tire les conséquences sur la réalité de la culture, conçue comme autant de montagnes érodées, uses et transformées par le passage du temps. Une culture en remplace une autre comme une forme de relief en recouvre une autre.
L’approche réaliste et presque illusionniste de son travail apparaît dans ce qui pourrait être perçu comme des maquettes ou des trompe l’oeil. Le résultat en est saisissant et souvent très impressionnant. La charge émotive et nostalgique de son travail est patente: on constate que de vieux livres trouvent une nouvelle vie mais abandonnent leur fonction première à travers leur transformation en paysages nouveaux. En même temps, la beauté de ces nouveaux paysages fait paradoxalement apparaître la valeur patrimoniale du livre, mais en tant que paysage. Cela pourrait faire penser à la Bibliothèque de Babel, nouvelle de Borges qui décrit un édifice infini, peuplé de livres écrits dans toutes les combinaisons possibles de caractères, mais livrés au hasard de leur agencement dans cette bibliothèque totale capable de prendre toutes les formes.
Ces sculptures illustrent donc littéralement l’idée de « paysage culturel », tant débattue par les géographes, de manière directe et spectaculaire. Leur esthétique évoque également les ruines de la fin du XVIIIe siècle, celle aussi des architectes révolutionnaires comme Ledoux, Boulée et surtout Lequeu, dans une ambiance pré-romantique où la fin des civilisations était une inquiétude constante traduite notamment dans les parcs à fabriques et les jardins imaginés en rapport avec l’antiquité. Mélange d’architecture et de jardinage, ces paysages romantiques ont fortement structuré notre imaginaire et continuent à exercer une forte influence sur notre esthétique. On pourrait aussi songer aux gravures des romans de Jules Verne comme Voyage au Centre de la Terre…
Ces oeuvres ont le mérite de poser la question de la pérennité de la culture et du rôle qu’on lui accorde.
Une réponse à “Paysages de papier”
Si le livre semble effectivement se détourner de son usage habituel de vecteur culturel, c’est que d’autres formes d’accès à la connaissance sont apparues. En définissant la culture comme étant l’utilisation des connaissances, il semble effectivement qu’un décalage apparaisse et que cela soit dû à ce que le livre et sa lecture et relecture nous permettait le temps de la réflexion, et pas seulement celui de l’imagination.
Ces sculptures, certes fortes originales et artistiquement exceptionnelles, dans leur dérive du livre nous emmènent vers l’imaginaire, la rêverie et le songe. Elles nous étonnent par la réussite technique de leur réalisation et nous incitent à l’évasion, comme si le livre était plus contrainte que liberté d’esprit. C’est en cela qu’elles intriguent et dérangent un peu, mais après tout, l’art n’est-il pas fait pour troubler ?