La vache de Léon ne rit plus


Faut-il regretter l’époque de Léon Bel, le fromager jurassien qui amusait les vaches avec Benjamin Rabier ? Les agriculteurs de l’Ouest de la France pris au piège de l’agriculture industrielle ne comprendront pas qu’on fasse référence à ce qui leur apparaîtrait comme le temps de la bougie, qu’autrefois, Martine tenait, certes, bien sa ferme, mais les temps ayant changé, la vache de Léon peut bien rire, cela ne les regarde plus. C’est bien mal connaître la géographie de l’agriculture en France en pensant que l’incurie régnant dans les régions productivistes est juste un mauvais concours de circonstances entre réforme de la PAC, pratiques condamnables de la grande distribution et marché mondial saturé.

Les paysans et les drones

Tout le monde est coupable dans cette crise : l’Etat qui a pratiqué la politique de l’autruche, les industriels et les distributeurs qui ont pris les paysans pour de vulgaires fournisseurs de commodités, le syndicat majoritaire obsédé par la concurrence, les agriculteurs aux filières mal organisées et aux comportements irresponsables. Il y a un maillon faible dans la crise actuelle dont on ne parle pas et qui explique la rentabilité faible de certains élevages : un endettement insupportable des fermes causé par des équipements inutilement coûteux, des pratiques agricoles onéreuses qui se justifiaient d’autant moins qu’aujourd’hui, on diminue l’usage des nitrates dans les parcelles et des médicaments dans les élevages. On a tant dépossédé les paysans de leurs savoirs qu’ils croient intelligent de piloter une ferme avec des drones. On voudrait tant que les éleveurs prennent des vacances qu’on leur vend de ruineux robots de traite dont ils pourraient se passer. On les pousse tant à produire qu’ils en accusent les distributeurs et les consommateurs fautifs de préférer le bio lorsqu’ils savent désormais qu’une part importante des maladies neurodégénératives sont liées aux pesticides. On a tellement méprisé la polyculture – pourtant la meilleure des assurances contre les aléas de la nature – que la spécialisation a été tenue comme la martingale d’un « progrès » largement illusoire.

Tout économiste sait que la loi de King impose de sortir les produits agricoles des pratiques habituelles des marchés. La PAC a été un outil qui a permis de résoudre bien des crises avant que le libéralisme la déshabille de ses outils structurels. Que des ministres et syndicats majoritaires aient accepté ce qui venait de Bruxelles comme la garantie de la prospérité agricole fait pleurer sur la cécité ou le cynisme dont ils font preuve. Ils ont sous les yeux l’exemple d’une viticulture à deux vitesses, qualitative d’un côté avec des terroirs restés modestes, à majorité paysanne, à forte valeur ajoutée et rentable, et celle quantitative, perfusée par Bruxelles, qui penser tenir la dragée haute aux marchés internationaux. C’est oublier qu’en faisant main basse sur l’Europe orientale, les Allemands se sont achetés une main d’œuvre bon marché. Et qu’en Espagne, les huertas andalouses ne vivent qu’en pratiquant des formes d’esclavage de main d’œuvre africaine. La fascination pour une économie rentière a masqué tout un pan d’une agriculture de qualité, où des vaches non écornées et aux pis non atrophiés sont au pâturage et non pas dans leurs déjections comme dans la ferme des mille vaches, les porcs et les volailles non pas entassés dans des élevages monstrueux ni traités préventivement aux antibiotiques. La maltraitance animale a aveuglé les entrepreneurs âpres aux gains qui se sont fait rouler dans la farine de la grande distribution.

La suite sur Geographies en mouvement (blog de Libération)

http://geographiesenmouvement.blogs.liberation.fr/2015/07/24/la-vache-de-leon-ne-rit-plus/

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2 réponses à “La vache de Léon ne rit plus”

  1. « Vachement pas d’accord ».
    Sans qu’il soit besoin de le souligner encore une fois, compte tenu de la qualité habituelle de vos propos, il ne manque effectivement pas une virgule à votre diatribe relative à l’ industrialo-agro-alimentaire. Toutefois, votre globale dénonciation, tant elle condamne, exclue définitivement le commentaire contradictoire. Ce qui est intellectuellement insoutenable est le rapprochement systématique de l’industrie de la male-bouffe avec le monde de l’agriculture. L’espace est ici double et mériterait à, mon sens, un double raisonnement. Pour ce qui est de l’industrie, c’est le fonctionnement économico-financier du monde qui prévaut, totalement généralisé, utilisé par tout un chacun dans tous les domaines et vraiment lié, comme vous le souligné, à une sorte de culture générale qui idéalise l’accès à la possession, au pouvoir et à la richesse. Plus encore qu’un concept, une habitude, une démarche, c’est un moyen, le moyen d’exister, et surtout celui de mieux exister. Ce qui est condamnable dans l’industrie, ici alimentaire, mais ailleurs également, c’est bien, la maltraitance animale, l’utilisation de méthodes et de produits nocifs, la religiosité de l’obsolescence programmée, mais pas la mécanisation qui permet de produire au plus grand nombre au plus bas prix. Rendre ce procédé meilleur, écologiquement, économiquement, médicalement,… est une constante de notre civilisation et des résultats ont déjà été obtenus et le seront encore, certes, en insistant pour qu’ils le soient. S’agissant presque exclusivement d’une logique de transformation, de bauxite en avion, de ferraille en voiture… et pour ce qui nous concerne d’herbe en viande, c’est précisément ici que pour moi l’espace diverge. Nous rentrons dans l’Humain au sortir du robot, et c’est bien ce qui caractérise le fonctionnement du monde agricole. C’est pourquoi il n’est pas équivalent par de supprimer par exemple l’utilisation du cyanure dans le traitement métallurgique et d’utiliser l’herbicide en culture. Dans le premier cas l’incidence n’est que bénéfique, y compris pour l’industriel qui évite un produit onéreux et à problèmes, dans le second, le désherbage manuel du champ de maïs étant exclu, la suppression de l’herbicide induirait inévitablement l’arrêt à terme de cette culture dont de toutes façon le liseron ou le chardon auront tôt fait d’interrompre, et finalement la disparition de l’agriculteur. Si l’organisation de l’activité agricole est sans nul doute à repenser dans sa globalité, il est pour moi inimaginable de l’extirper du contexte industriel dans lequel elle évolue.
    Conscient du niveau médiocre de mes connaissances géographiques, ceci reste un simple avis, dont il m’est vraiment difficile de ne pas donner, face à vos propos qui m’incitent beaucoup plus à la révolte qu’à la réflexion. Même si la vache de Benjamin Rabier semble ne plus rire, je garderais cependant le sourire et l’intérêt de vous lire, Libération oblige.

  2. Le goût du Lucre de certains y est pour beaucoup mais le principal responsable reste la société Automobile car « La Voiture«  pour Tous {VolksWagen en VO car M.Houellebecq a eu raison de déclarer que La France (et l’Occident) était un régime Nati[onal-socialiste](Nazi en Allemand) sans Hitler !}, il a bien fallu trouver l’argent quelque part pour la financer ; Les Paysans sont les principales victimes de l’ethnocide 1914-1918 puis de l’acculturation qui s’ensuivit : Ils ont été privés de toutes les voies ferrées indispensables et nécessaires à la vie des campagnes !!!!!!!!

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