Il faut bien reconnaître que nous, Français, nageons en pleine contradiction entre d’une part l’idée rabâchée que « nous sommes tous des urbains », et que « donc » les campagnes n’existent plus ou sont trop peu peuplées pour réellement compter dans la vie nationale. Et de l’autre, ce désir de « nature » qui passe par des truchements aussi nombreux qu’improbables tels que produits bio, producteurs locaux, engouements pour les produits « naturels » et ainsi de suite. En confondant le plus souvent nature et campagne, ce qui crée des malentendus cocasses entre ruraux et néoruraux. Car de plus en plus de monde s’installe « à la campagne ». Nostalgie quand tu nous tiens…
Le long travail de sape contre le monde paysan et la culture dont il était porteur a démarré dès le règne de Louis le Grand, on s’en rend compte notamment en lisant les comédies de Molière dans lesquelles les « culs terreux » sont déjà ridiculisés et considérés comme des arriérés, alors que le bon air de la campagne est célébré à travers de nombreuses oeuvre littéraires dont l’Astrée (1607-1627) était le fleuron. Enfin, tout au long du second vingtième siècle, on a sciemment transformé les paysans en agriculteurs, à grand coup d’ingénierie et d’agronomie inspirées toutes deux du grand modèle productiviste et intensif nord-américain. Pour quel résultat? Des campagnes peu à peu anémiées et même vidées de leurs habitants, des savoir faire perdus et in fine une qualité de nourriture extrêmement basse, source de problèmes de santé publique que les grands lobbies de l’agro-industrie ont de plus en plus de mal à masquer. Sans compter des « paysans » certes plus riches (?) mais mal à l’aise et devenus ultra-minoritaires dans une société de citadins qui ne parvient plus trop à faire la différence entre une génoise et une génisse.
Dans un tel contexte, alors que la commune rurale de Berrien, dans le Finistère, risquait de perdre une classe de son école primaire, prélude sinistre au déclin selon les élus du village, le maire a décidé de lotir des terrains communaux à 1€ le mètre carré pour attirer des familles avec enfants et enrayer le déclin. Ce qui a fonctionné (1)… puisque la mairie a dû refuser du monde. Timide preuve que la vision de la campagne change, et celle des paysans avec? Rien n’est moins sûr.
En effet, les Nations unies elles-mêmes ont supposé que la paysannerie mondiale devait régresser au profit de l’agriculture productiviste, seul horizon proposé à des paysans « arriérés », appelés donc à se moderniser ou à émigrer en ville, comme nos proches ancêtres. Comme si vivre en bidonville ou travailler à l’usine était préférable à rester dans les campagnes.
Mais le vent tourne et même dans les pays riches à agriculture intensive on commence à considérer les campagnes comme de réels gisements d’emplois. Edgard Pisani défend le retour à des exploitations de taille familiale, génératrices d’emplois et plus respectueuses de l’environnement. Lui-même confiait regretter la modernisation excessive des campagnes françaises dans les années 1960 qui ont subi un exode massif.
Le bonheur est-il dans le pré? Il faudra le demander aux nouveaux habitants de Berrien dans quelque temps.
(1) Source: Le Parisien, n°22053, mardi 4 août 2015