Le 25 mars dernier, le rock déferlait sur Cuba, dans une ambiance plutôt tranquille, comme le rapportent plusieurs journalistes présents sur place. Ce concert, gratuit, préparé lors de la visite historique d’Obama sur l’île, est une première pour un pays bloqué depuis des décennies à la fois par le corset idéologique révolutionnaire, et le blocus unilatéral décrété par les USA à la suite de la révolution cubaine. On le sait, la patiente médiation de l’Église a permis un rapprochement entre les deux pays riche de promesses pour l’avenir.
Les Rolling Stones ont donc pu faire partager leur musique à plus de 500 000 spectateurs, cubains et étrangers. On sait que la musique est un puissant vecteur de brassage culturel et de partage. Dans ce cas précis, elle symbolise vraiment beaucoup de choses.
L’ouverture de l’île à la culture « bourgeoise dégénérée » occidentale. En effet, pendant toute la Guerre Froide, la phraséologie des pays socialistes fustigeait sans cesse une culture jugée dégénérée, corrompue et décadente. Mais qu’à cela ne tienne, de l’eau a coulé sous les pont et ce que les Stones ont représenté pendant ce concert était tout autre chose. Une certaine forme de liberté, tout simplement, offerte au peuple cubain qui, ne l’oublions pas, soutient encore son régime, malgré les prisons politiques, les maintiens à résidence et les exils plus ou moins forcés.
Au-delà de cette liberté au moins partiellement retrouvée, ce concert marque aussi l’arrivée d’un nouveau type de musique sur une île saturée de culture musicale caribéenne mondialement connue et reconnue, la salsa et toutes les danses et musiques apparentées. Fascinante musique basée sur la clave, ces chevilles de bois dur que les esclaves des chantiers navals de la Havane utilisaient pour produire un rythme totalement original qui constitue l’épine dorsale des rythmes afro-cubains. Métissage en acte, la musique cubaine accueille donc aussi le rock et toutes les influences « occidentales », ou plutôt anglo-saxonnes.
On retrouve bien là l’idée, très géographique, de la puissance d’un symbole qui se met en scène dans un espace et un lieu bien précis. C’est certainement une manifestation éclatante du « soft power », cette manière d’affirmer l’influence d’un pays autrement que par les armes.
A présent, reste à savoir quelle influence les USA vont exercer concrètement sur l’île: les fast food? Les drogues? Apple? Ou un vrai partenariat culturel? Les Cubains ne sont pas dupes. Ils font partie, on l’oublie trop souvent quand on parle du régime cubain, des populations les mieux formées et éduquées de toute l’Amérique latine et des Caraïbes, et si les USA exercent comme ailleurs une attirance évidente, les Cubains sont trop épris d’indépendance nationale pour tomber sous la dépendance états-unienne. Pour le moment tout au moins. Et la culture cubaine s’est affirmée et mondialisée envers et contre tout, y compris le blocus américain. Un autre soft power, puisque Cuba a aussi participé à des guerres notamment en Afrique, en Angola et sur d’autres théâtres d’opération « révolutionnaires ».
Pour l’heure, les Cubains profitent pleinement de cette ouverture et ce concert représente une véritable mise en mouvement de la société cubaine.
En une: affiche de la visite d’Obama dans les rues de La Havane. Cliché: YAMIL LAGE / AFP