En cette veille d’Halloween 2016


Beaucoup de choses se sont passées depuis le début de l’été 2016, et tandis que la bataille de Mossoul démarre, la France cabossée et inquiète s’apprête à fêter Halloween. C’est facile à voir, les citrouilles oranges et noires, les fausses toiles d’araignée, les effigies de sorcières fleurissent un peu partout. Fête paradoxale puisqu’il s’agit d’une importation récente, sous influence directe anglo-saxonne et, pour être plus précis, américaine, même si son origine est irlandaise et celtique. Fête païenne, qui met en scène le macabre et l’obscur dans un pays qui a une peur bleue de la mort, au point de la nier et de la reléguer dans des recoins oubliés.

A la suite du Brexit et des derniers attentats en France, l’identité est devenue un sujet de querelle aigre, violent et souvent stérile. Toutefois, Halloween, dans le tourbillon (pour ne pas dire le cirque) identitaire actuel, ne semble pas poser de problème. Ce n’est sans doute pas une fête dangereuse pour les chantres de l’identité. Fête étrangère importée, elle prouve pourtant bien que si identité il y a, celle-ci est complexe, stratifiée, feuilletée même, et surtout contradictoire. Ceux qui se plaisent à souffler sur les braises en arguant d’une prétendue « identité » immuable et monobloc feraient bien d’y réfléchir à deux fois. Car qui sème le vent récolte la tempête, et en France, nous en avons eu plusieurs sanglants exemples récemment.

Snap-Apple Night, painted by Irish artist Daniel Maclise in 1833. It was inspired by a Halloween party he attended in Blarney, Ireland, in 1832. The caption in the first exhibit catalogue: There Peggy was dancing with Dan While Maureen the lead was melting, To prove how their fortunes ran With the Cards could Nancy dealt in; There was Kate, and her sweet-heart Will, In nuts their true-love burning, And poor Norah, though smiling still She’d missed the snap-apple turning.

Halloween se place juste avant la Toussaint, et, une fois n’est pas coutume, la fête « païenne » fait concurrence à la fête chrétienne. Il s’agit peut être d’un hasard de calendrier, mais cette juxtaposition de dates crée des tensions symboliques entre telle et telle fête. On déconseille parfois aux enfants de fêter Halloween. C’est comme le carnaval, une fête trop subversive pour être honnête.

La manière dont Halloween s’est mondialisée est stupéfiante, et un pays comme la France s’est volontiers laissée rattraper par le phénomène, qui engendre un imaginaire de masse très fertile. C’est donc une fête qui, avec tous ses aspects (religieux ou spirituels, politiques, mercantile, matériels…) est un bon révélateur des imaginaires contradictoires dans lesquels s’inscrit la société française. Et cette société, même très divisée et traversée d’oppositions violentes, parvient quand même à se renouveler temporairement par l’entremise de cette fête.

Comme quoi, une citrouille peut avoir des vertus apaisantes, au moins parfois.

En une: Un parc consacré aux Jack o’Lantern à Louisville, Kentucky. http://www.jackolanternlouisville.com


4 réponses à “En cette veille d’Halloween 2016”

  1. Les tentatives des grands distributeurs de développer Halloween datent d’une vingtaine d’années, mais ça ne prend pas réellement, sauf peut-être dans le Nord de la France. Point d’enfants qui sonnent aux portes pour récolter des bonbons dans la plupart des régions, la fête se limite à des déguisements made in China, à quelques citrouilles éclairées posées sur les margelles des fenêtres, ces jack O lanterne ne sont pas pour nous déplaire, mais je pense que cette fête irlandaise demeure anecdotique, très superficielle dans ses manifestations purement mercantiles et ne touche en aucun cas l’imaginaire collectif, si tant est que cette expression ait encoreun sens. Du marketing donc, un pas de plus vers l’intégration au grand marché?

    • Merci pour votre commentaire. Je pense que, malgré les aspects clairement marchands, le thème se popularise chez les plus jeunes, et le battage finit par produire ses effets. Ce serait justement une belle étude de géographie culturelle que de travailler sur la diffusion de cette fête qui suit au départ les migrations irlandaises. Cela reste une fête vécue de manière superficielle, mais ce n’est pas pour autant anecdotique.

  2. Bonjour Monsieur Brice Gruet,
    Il est effectivement assez étonnant de voir porter à l’assentiment populaire une espèce de fête qui s’appuie sur l’idée de sorcières, de potirons et de bonbons qui gâtent les dents. On ne peut pas vraiment dire que la « soupe » au potiron soit un met qui ait enchanté nos diners enfantins. Les sorcières non plus, n’ont vraiment pas inspiré l’unanimité de goût dans nos imaginaires de jeunesse, nous avions bien compris d’emblée leur irréalité ce qui ne manquait pas déjà, assez rapidement, de nous détourner de ce pôle d’intérêt, fût-il très Disneyen.
    A l’heure du jeu vidéo sanguinaire et de la virtualité démentielle des portables, il est effectivement assez désuet de voir réapparaitre dans nos foyers cette tradition, certes US, donc « adoptable comme un must », mais très éloignée d’une certaine modernité.
    Si aujourd’hui, l’actualité nous démontre que l’horreur ne fait plus peur, on comprend mal pourquoi une bougie logée dans une citrouille déguisée en tête viendrait nous effrayer.
    Ce qui pourrait cependant davantage nous inquiéter, c’est ce retour marketisé à la peur du loup, totalement absurde, et bien éloignée de ce que nos craintes actuelles portent davantage sur la folie de nos semblables plutôt que sur la férocité d’un animal presque complètement disparu de la planète.
    Je ne pense pas, par ailleurs, que l’idée de naître dans un chou, avoir peur des légumes, et se goinfrer de la pie qui chante, continue à émouvoir grand monde, fût-il celui des petits, et demeure véritablement utile à l’éducation et à la formation de l’intelligence.
    Heureusement, voici bientôt venir notre barbu de Père Noël qui saura bien nous indiquer vers quelle croyance nos enfants se porteront, probablement bien alléchés par l’avalanche de cadeaux commercialement plus salés que sucrés.
    Très cordialement
    Pierre Chabat

  3. « Des vœux pour un vieux BLOG. »
    Si Condorcet déclarait en guise d’arithmétique politique : “Qu’importe que tout soit bien, pourvu que nous fassions en sorte que tout soit mieux qu’il n’était avant nous.”, c’est qu’il pensait l’universalité de cette grande idée. Malgré tous nos prédicateurs de déluge prochain, il semble effectivement que tous nos jardins soient bien imprégnés de cette graine qui continue à germer et à fleurir pour peu qu’on la cultive.
    Très bonne année à Geographica et à ses jardiniers.
    Cordialement
    Pierre Chabat

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