Tandis que la presse étrangère réagit en ordre dispersé à propos du premier tour des élections présidentielles en France, plusieurs quotidiens ont proposé des cartes relatives à ce scrutin. Nous avons choisi la carte publiée par le Monde, et celle du Parisien pour tenter une réflexion sur l’état du pays en rapport avec le vote d’hier. Sans vouloir rivaliser avec les excellentes études d’un Hervé le Bras et Emmanuel Todd, on peut tout de même tenter une analyse de ces données cartographiques.
La carte proposée par Le Monde présente les résultats par départements. Cela permet d’y distinguer très nettement deux blocs: d’une part les votes majoritaires pour Marine Le Pen sont répartis entre le Nord Est, la vallée du Rhône et la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, ainsi que la vallée de la Garonne, le Languedoc Roussillon et enfin la Corse. En revanche, l’île de France, les Alpes et tout le grand ouest sont clairement du côté de Macron. Trois départements sont « du côté » de Mélanchon, la Dordogne, la Seine-Saint-Denis et l’Ariège. Les territoires d’outre-mer se répartissent entre ces trois tendances, sans oublier François Fillon qui lui l’emporte dans un bloc de départements autour de la Sarthe, sa région d’origine, dans la Lozère et enfin la Haute Savoie.
Grosso modo, on retrouve en filigrane la France industrielle du NE et du Centre, aux nombreuses friches industrielles et aux populations en butte à de multiples difficultés matérielles. En revanche, l’Île de France, productrice de richesse et pourvoyeuse d’emplois, échappe au Front National.
L’autre carte, publiée par Le Parisien permet de se faire une vison plus détaillée, avec un affichage par commune et non plus par département. Bien entendu, la situation est plus contrastée, et on peut plus finement voir la répartition des votes lepénistes. C’est une carte qui recoupe assez bien celle de la présence d’émigrés, en particulier maghrébins, cible privilégiée du Front National qui fait comme on sait l’amalgame depuis des années entre musulmans et islamistes. La concordance est assez frappante, et laisse penser que pour les électeurs FN, les étrangers sont en effet la menace, le problème et l’origine de tous les problèmes du pays… Mais l’exception, notable, est l’Île de France qui, malgré une forte proportion d’étrangers, semble résister aux sirènes du parti de Marine Le Pen, même si la Seine et Marne semble grignotée, à son est, par le vote frontiste.
Le Sud Ouest, alors même que de nombreux étrangers semblent y résider, n’engrange pas une majorité de vote FN. En revanche, tout le nord, depuis la Picardie jusque vers le Pas de Calais, est presque uniformément du côté du FN, à l’exception notable d’Amiens, comme si les grosses agglomérations donnaient davantage leur confiance à Macron.
Nous avons donc « deux France » qui ne semblent ni se connaître, ni coïncider. Les attentats ont attisé des haines et des confusions graves envers les étrangers, et les mots se mélangent entre migrant, clandestin, illégal, immigré… sachant que l’extrême droite a systématiquement tendance à confondre étranger et illégal.
C’est oublier le passé récent, et moins récent, de la France, qu’il soit économique, politique ou colonial, voire guerrier, avec les deux dernières guerres mondiales auxquelles les « indigènes » des colonies ont largement participé. Plusieurs histoires s’écrivent donc et certaines d’entre elles « ne passent pas », pour reprendre l’expression d’Eric Conan (Vichy, un passé qui ne passe pas). On ne veut pas admettre la totalité du récit national, on l’accommode à sa convenance, et en cette période de « post vérité » et de « faits alternatifs », on se permet de raconter n’importe quoi pourvu que le message passe, aussi outrancier et mensonger soit-il. C’est au-delà du raisonnable.
La présence étrangère en France n’est pas liée à la mondialisation, elle lui est bien antérieure, et d’une certaine façon elle est consubstantielle à l’histoire du pays et de l’Europe. D’autre part, les Français de l’étranger animent une diaspora qui prouve que les Français sont aussi des étrangers quelque part. Mais tous les étrangers ne semblent pas se valoir au Front National.
La question que l’on peut se poser, géographique, est comment caractériser et réconcilier ces territoires qui sont opposés par le vote? Est-ce seulement possible? Car la pire chose qui pourrait arriver au pays, c’est la division. Et ce spectre là, qui n’a pas disparu avec la fin de Vichy, continue de hanter le pays.
Pour terminer, il faut insister, une fois de plus, sur ce que la géographie, en particulier culturelle, peut apporter au débat en terme de nuance. La mondialisation est un phénomène majeur aux multiples ramifications, et la fustiger sans nuance est aussi malheureux que la louer sans réserves. On peut comprendre le vote FN comme un vote qui traduit certes un ras-le-bol, mais aussi une angoisse, un sentiment de danger, de dépossession de soi. Tous les blogs « identitaires » surfent sur ces sentiments. Qu’ils soient légitimes ou non, peu importe. Ce qui compte, c’est le fait de savoir quoi d’apporter à toutes ces personnes qui ont voté pour Marine Le Pen des réponses raisonnables capables de les rassurer et de les détourner des extrêmes.
A ce titre, la géographie travaille aussi sur la convivialité. Sans doute est-ce à ce niveau qu’il faut travailler, et avec ardeur, car il y a le feu à la maison.
En une: Emmanuel MAcron à son QG le 23 avril, après l’annonce des résultats du premier tour. Cliché AFP.
3 réponses à “Macron, Le Pen et les autres, quelle cartographie électorale?”
Une carte marquée Résultat par commune et qui affiche les départements…
Merci pour votre remarque: en fait, il s’agit d’une carte interactive (sur le site du Monde), et en cliquant sur un département vous accédez aussi aux résultats par commune. Il faut donc aller sur le site du Monde. Je l’ai mis en lien dans l’article.
Bonjour Monsieur Brice Gruet,
« Jeux de loi ! »
Si étymologiquement, par assimilation de la rondeur de la tumeur du Loup, la loupe ronde grossissante permet de découvrir de petites choses non visible à l’œil nu, elle nous emmène cependant très souvent à perdre notre vision du tout au profit du détail ? C’est ce qui géographiquement pourrait être perçu comme un « loupé » d’analyse. Ainsi en partant d’une observation stratigraphique nous voilà focaliser sur une granulométrie. Certes cela ne manque pas d’intérêt, puisqu’ainsi nous pouvons vraiment certifier qu’il existe bien de gros et de petits cailloux et qu’ils semblent cohabiter de manière étonnamment stable, les gros semblant menacer d’écrasement les petits sans le faire réellement. Cette vue très « horizontale » de l’objet omet sa réalité verticale et nous rassure quant au vertige qu’une telle approche pourrait nous susciter. Ainsi, en jouant à la « carte interactive » qui permet de perdre de l’altitude en se rapprochant du sol, on échappe aux effets percutants de cette dégringolade puisqu’elle demeure virtuelle. Il est très étonnant encore une fois, que Google nous dame le pion avec « Google earth » en ayant réussi cette double vision et donné du volume à nos observations cartographiques.
Nous semblons définitivement opter par ce procédé, pour une logique de déconstruction. Pour qu’il puisse être qualifié de « Mur », un ouvrage devient une réalité qu’après que ses briques aient été assemblées et non l’inverse. Par contre s’il venait à comporter visuellement un devers après son assemblage, il faudrait à coup sûr organiser un référendum qui seul pourrait départager les partisans de sa démolition des conservateurs de l’état. C’est ce que l’on pourrait appeler se situer au pied du mur. Mais n’est-ce pas en observant l’image parfaitement symétrique de son visage dans un miroir qu’on s’aperçoit de sa propre dissymétrie. Comme quoi c’est en disant une chose que l’on prend souvent conscience de son contraire, c’est un peu ce que l’on pourrait appeler marcher à reculons.
Si l’on pouvait affiner la « ruralité d’une campagne électorale », on indiquerait que le labour n’est pas toujours un gage de fertilité.
Bien cordialement
Pierre Chabat