Il est des pays qui ne s’apprennent pas avec évidence. Tout y est remis en cause. Tout étonne. Rien ne va avec nos cadres. Oui, le Japon est très loin de l’Europe, ne ressemble en rien à un pays continental, puisque cet arc en archipel aurait très bien pu rester vide et les géographes auraient expliqué que les éléments naturels, bien entendu, justifient qu’il n’y ait personne… Manque de chance : cet archipel est surpeuplé et prend un malin plaisir à ne peupler que des zones basses, c’est-à-dire moins de 20% de la surface du pays : mettez 127 millions d’habitants sur un territoire de la taille de l’Aquitaine. Secouez de temps à autre. Et observez.
Pour nous, Micromegas venus de la Sirius Europe, le Japon, ce peut être des volumes. De l’architecture, si l’on veut observer nos semblables. Quelque chose de palpable qui nous donne l’occasion de comprendre ce qu’est être japonais. Une équipe de 64 auteurs ont travaillé douze ans sous la direction de Philippe Bonnin, Nishida Masatsugu et Inaga Shigemi vient de publier un magistral Vocabulaire de la spatialité japonaise (CNRS-Editions), qui prend le relais de ce qui a émergé il y a une génération dans L’Empire des signes de Barthes, dans La production de l’espace d’Henri Lefebvre et avec l’exposition du festival d’automne à Paris en 1978, Ma, espace temps au Japon. Augustin Berque, dans sa préface, explique combien cette époque a intrigué le public, déstabilisé ses repères.
« Quelque chose de mystérieusement attirant », insiste Berque, qui se demande pourquoi la spatialité japonaise séduit à ce point les Occidentaux, à travers les esstampes hier et, aujourd’hui, l’architecture ? « Faisons l’hypothèse que le Japon a exploré des voies que la modernité européenne s’est fermées », argumente Berque. Le logocentrisme issu des Grecs ainsi que le dualisme cartésien et son espace pensé comme une étendue neutre et abstraite, sans considération pour le monde sensible, serait à l’origine de nos frustrations que le Japon semble aujourd’hui corriger.
La spatialité, dont le mot pourrait faire peur à nombre de lecteurs, est en réalité notre première langue, avant même la langue maternelle expérimentée par le corps et le psychisme sur l’espace qui nous fait construire et éprouver notre rapport aux autres, au monde. Nous échangeons des représentations spatiales.
Ce Vocabulaire est si riche qu’on n’en donnera que quelques idées apéritives, pour que le lecteur sache où trouver réponse à ses questions sur l’architecture (individuelle, collective, palatiale…), sur l’espace intérieur (des bains au tatami), l’espace public, les espaces scéniques, de l’accueil, les jardins, les matières, les espaces symboliques, les villes, le patrimoine…
Le Japon en est-il moins mystérieux ? Sans doute. Il reste encore plus attachant.