Les géographes ont souvent produit des figures duales de la France : Paris et son désert français, la France du Nord et celle du Sud avec la ligne Saint-Malo/Genève comme coupure, la France de l’Est (industrielle) et la France de l’Ouest (agricole) de part et d’autre de la diagonale Le Havre/Marseille.
L’économiste à Laurent Davezies (université de Paris-Est-Créteil) propose dans La crise qui vient (Seuil, 2012) une France « en quatre ». Une nouvelle France fabriquée par la crise actuelle qui déchire l’égalité territoriale que l’État français tente de préserver. Davezies explique que les inégalités entre régions et agglomérations se sont réduites depuis quarante ans (mais pas à l’échelle des agglomérations). Cela, grâce à la solidarité d’une redistribution bien plus généreuse que la moyenne européenne.
Aujourd’hui, la situation est en train de changer, selon Davezies qui coupe la France en quatre groupes pas toujours faciles à cartographier :
– une France productive, marchande et dynamique, concentrée dans les métropoles ;
– une France non productive, non marchande mais dynamique, située à l’ouest d’une ligne Cherbourg-Nice, vivant du tourisme, des retraites et des salaires publics ;
– une France productive, marchande et en difficulté, composée de bassins industriels déprimés, située dans la moitié nord mais en déclin ;
– une France non productive, non marchande, en difficulté, et dépendant des seuls revenus sociaux.
L’analyse de Davezies pèche l où les économistes ne s’attachent qu’à des indicateurs sans profondeur : que veut dire « France productive » des » bassins industriels déprimés » ? Croit-il que ce qu’on appelle une culture industrielle disparaisse par une simple crise aussi violente soit-elle ? A-t-il analysé ce qui se passe en Alsace, en Lorraine, dans le Nord, dans certaines régions du Jura et des Alpes où l’on a la culture de l’entrepreneuriat chevillée au corps ? Où les écoles d’ingénieurs n’ont jamais été aussi nombreuses ? Les créations d’entreprises jamais aussi fortes ? Plutôt que de parler de déclin, Davezies serait bien inspiré de parler de reconversion. Qu’il aille voir ce qu’est devenue la Ruhr quarante ans après l’abandon du charbon ! Est-ce que Peugeot dans le bassin de Sochaux-Montbéliard va rendre les armes après deux siècles et demi d’industrie ? C’est méconnaître les gènes d’une « civilisation » industrielle née d’une solide culture scientifique, d’une audace d’entreprendre liée aux valeurs protestantes dans certaines familles d’entrepreneurs.
La carte de l’attractivité ne tient pas compte des potentiels locaux. Elle ne dit pas : attractif pour qui ? Car certaines régions ne figurent pas dans le classement de Davezies et pourtant, elles se maintiennent bien : Alsace Sud, région de Romans, haut-Jura, Vendée Est qui figurent avec des « niveaux d’attractivité faible » (sic).
Une crise est une conjoncture très violente. Mais elle ne balaie pas les substrats culturels si facilement. Rendez-vous dans dix ans.
Nous revient cette formule de Jacques Lévy « Oser le désert » publiée en 1994 qui fit grand scandale lorsqu’il se demandait si l’on ne pouvait pas envisager plus sereinement une France avec des espaces très peu urbanisés, faisant figure de réserve pour l’avenir dont personne ne sait ce qu’il sera.