Les êtres humains aiment bien s’inventer des peurs et les peuples voient toujours des « périls ». Nous avons eu le péril jaune, nous avons eu peur de l’invasion des Mc Do. Lorsque j’étais étudiant, un professeur d’histoire était tétanisé par l’Inde « qui allait nous dépasser et nous anéantir ».. Demandons aux Belges et aux Luxembourgeois, aux Suisses et aux Singapouriens s’ils sont malheureux d’être des « petits » pays.
Pour la saison 2012-2013, le nouveau « géant », celui qui d’un pas de ses bottes de sept lieues va nous croquer n’est plus l’Inde, la Chine ou le Brésil. C’est l’Indonésie. Le Point (n° 2097) s’inquiète : « Ce géant qu’on n’attendait pas ». Et les sous-titres donnent de la voix : « Boom. Le plus grand pays musulman du monde fait rêver les investisseurs« . Le choc des mots !
En effet. Dans les beaux quartiers de Jakarta, une jeune femme active BCBG, Martini à la main : « Nous sommes allés Paris, c’est un peu mort la nuit« . Jakarta : « la nouvelle frontière de la mondialisation« . Les décideurs de la planète sonnent du cor : « Le géant indonésien s’est (enfin) réveillé« . Le taux de croissance est forcément « insolent » (6,8%). Dans quinze ans, prophétise McKinsey, l’Indonésie « dépassera l’Allemagne pour devenir la 7e puissance de la planète ». Qui dessine cette fameuse croissance ? Les multinationales : L’Oréal (sa « plus grande usine du monde » (inaugurée par Françoise Meyers-Bettencourt ?), Danone, Airbus et Boeing, les sous-traitants d’Apple, les fauves chinois et coréens, les tigresses occidentales (Angela Merkel, Hillary Clinton) avec un Hollande « à la traîne » pour venir chercher « sa part du gâteau ». Rassurons-nous : la vertueuse Danone est là avec la « plus grosse entreprise d’eau minérale au monde » (dix milliards de litres embouteillés).
Quatrième pays du monde pour ses abonnés Facebook, le pays est connecté « jusqu’au fin fond de la jungle de Bornéo« . On allait oublier la politique. Une politique juteuse, s’entend, avec « la plus grande commande de l’histoire de l’aviation civile » pour 230 Boeing. Parce qu’ici « quand on sort de la pauvreté, on achète un billet d’avion« . La géographie s’en mêle : dix-huit mille îles pour un pays « plus étiré que les États-Unis ». Un pays malade sous la dictature, le Timor en sécession, les affrontements. Puis… la décentralisation. Avec des islamistes au coin du bois et un président Susilo Bambang Yudhoyono qui « marche sur les œufs » de la démocratie. Ajoutez-y un zeste de corruption, soufflé par une diplomate, un sous-équipement en infrastructures (Jakarta sans métro), une misère endémique (206 dollars de salaire mensuel moyen dans la capitale. Voir la photo) Et cette phrase savoureuse : « A mesure que les investisseurs débarquent, les inégalités se creusent« .
Voilà donc le sort qui attend la bientôt « 7e puissance de la planète« .
Triste géographie de l’Indonésie.