La Terre du Milieu (Middle Earth) imaginée par Tolkien a engendré un puissant imaginaire géographique et cartographique, qui ne semble pas près de s’épuiser. Et les cartes qui représentent cette Terre ont connu un succès remarquable. Leur style pourtant varie beaucoup, et entre les cartes originales dessinées par Tolkien lui-même, aidé de son fils Christopher, et les cartes « grand luxe » pas forcément très belles, influencées par le jeu vidéo ou les jeux de rôle, il y a littéralement… un monde.
Pourtant, ces cartes, presque naïves, renvoient à un univers très cohérent, mais dont la géographie reste finalement assez peu étudiée. Si Tolkien lui-même confessait que sa Terre du Milieu était plus conforme à l’histoire qu’à la géologie, celle-ci mérite que l’on s’y attarde un peu. Les éléments topographiques semblent animés d’une vie propre, comme autant d’entités indépendantes. Les montagnes et les forêts en particulier, apparaissent sur les cartes de manière isolée. Les fleuves eux aussi connaissent une vie qui leur semble propre.
Chaque province ensuite s’étend selon une échelle géostratégique particulière, mais pour l’ouest de la Terre du Milieu, de loin la mieux connue et la mieux cartographiée, c’est le Mordor qui apparaît comme une sorte d’aberration géologique : ou alors, ce serait un gigantesque horst, c’est à dire une sorte de dalle granitique faillée sur tous ses bords, et parsemée de volcans vomissant cendres et laves en permanence. Une sorte de blackland des premiers temps.
Avec Jean-Rodolphe Turlin et Michaël Devaux, j’ai eu l’occasion d’évoquer les paysages chez Tolkien lors d’une table ronde pendant le dernier Festival International de géographie (FIG) de Saint-Dié-des-Vosges. Jean-Rodolphe s’est intéressé aux paysages de la Comté, fortement influencés par ceux du sud de l’Angleterre, tandis que Michaël a lui insisté sur les analogies entre le Marais des Morts, traversé par Frodon, Sam et Gollum, et le champ de bataille de la Somme, « réanchanté » par le roman mais ancré tout de même dans l’horreur. Rivendell (Fondcombe) aurait été inspirée par la Suisse. Autant de sources d’inspiration elles-mêmes sous l’influence de l’Angleterre des âges obscurs, occupée par les Celtes, les Saxons, les Angles et les Pictes… Une époque mal connue sur le continent mais très identitaire pour les Britanniques.
Les cartes de Tolkien reflètent tout cela, en mélangeant les échelles (j’ai pu aborder cet aspect dans un article de Libération). Le plus surprenant, et c’est sans doute à cela que l’on reconnaît une grande œuvre, est la manière dont ces cartes ont été énormément copiées, plagiées, mais aussi parodiées. J’en donne quelques exemples dans le port-folio sur ce sujet. Les cartes pseudo-anciennes de Tolkien ont créé un style, et ce style ne cesse d’évoluer. Cela ouvre des perspectives incroyables sur les géographies imaginaires.
Mais le tourisme s’en est emparé et la Suisse ou la Nouvelle Zélande proposent des tours sur les traces des paysages de Tolkien, au point que parfois les habitants doivent protester du fait qu’ils ne sont pas des hobbits !
Pour en savoir plus:
Tolkien Aujourd’hui, ouvrage collectif dirigé par Michaël Devaux, Vincent Ferré, et Charles Ridoux, PUV, 2011
Dictionnaire Tolkien, sous la direction de Vincent Ferré, Presses du CNRS, 2012
La genèse de la Terre du Milieu sur Wikipedia (en anglais)
Un autre article sur les cartes chez Tolkien sur le blog (e)space et fiction
En une: dessins préparatoire de J.R.R. Tolkien pour la Terre du Milieu.